Les retours de l’Histoire

par Sandrine Treiner |  publié le 20/04/2024

Entre barbaries du passé et barbaries du présent, les années 30 resurgissent à presque un siècle d’écart

Hommage national au résistant communiste arménien et à ses camarades au Panthéon, à Paris, le 21 février 2024. Les dépouilles du poète et combattant arménien apatride Missak Manouchian et de son épouse Melinee sont transférées au Panthéon -Photo Christophe PETIT TESSON / POOL / AFP

L’Histoire nous joue des tours, et rarement les meilleurs. On se souvient de « La Fin de l’Histoire et le dernier homme », le livre de Francis Fukuyama paru en 1990. L’essayiste paya au prix fort le choix d’un titre percutant, abondamment cité ensuite pour railler la prévision erronée de son auteur au mépris d’un livre plus nuancé qu’il n’en avait l’air pris au sens littéral de son énoncé. Le politologue américain reprenant les thèses d’Alexandre Kojève, philosophe français d’origine russe, défendait l’idée que la chute de l’Union soviétique signait le début du règne sans grand partage de la démocratie libérale.

Las, à moins de considérer que les cycles dans l’Histoire sont d’une durée de plus en plus court, il fut rapidement détrompé tant à l’Est par la survivance de régimes autoritaires en Chine comme en Russie qu’à l’Ouest par des montées de plus en plus fréquentes de figures conservatrices et d’extrême-droite. Cet exemple devrait suffire à décourager toute prévision à long terme. Il n’en reste pas moins que si l’Histoire ne s’est jamais terminée, il est frappant de voir à quel point elle est de retour, et dans deux dimensions parallèles qui semblent étonnamment se répondre.

D’un côté, l’actualité a remis en première ligne la dimension la plus active dans le mouvement historique qu’elle imprime sur les sociétés avec le retour des guerres. Guerre en Ukraine, guerre au Proche-Orient, qui mobilisent l’attention et les stratégies militaires, politiques et économiques des grands blocs géopolitiques. Les plateaux des chaines d’informations sont désormais occupés en large partie par des commentateurs qui rivalisent non pas par leurs diplômes universitaires comme ce fut longtemps le cas

mais par le nombre de leurs médailles. C’est désormais le temps des ex-officiers d’état-major en tous genres. On se doute bien que les généraux à la manœuvre ne prennent pas la parole, et que ceux qui parlent, par définition, ne sont pas actifs dans les crises mais leur titre vaut crédibilité. Le citoyen s’habitue ainsi à entendre parler d’armements, de drones, de crédits d’armement, d’installation d’un nouveau service militaire.

Mais le retour de la guerre n’intervient pas dans n’importe quel moment. Il vient alors que la France est lancée dans une longue séquence de commémorations de la dernière guerre mondiale qu’Emmanuel Macron a voulu singulièrement marquée. Elle s’est ouverte récemment par la panthéonisation de Missak Manouchian, de sa femme et avec eux de ses compagnons de résistance exécutés en 1944. Elle s’est poursuivie par le déplacement du président de la République à la nécropole nationale des Glières d’où il a lancé le « parcours de mémoire » des 80 ans de la Libération qui culminera avec les célébrations du débarquement en Normandie. Il s’est également rendu à la Maison des enfants d’Izieu d’où 44 enfants furent arrêtés sur l’ordre de Klaus Barbie, arrêtés et déportés.

C’est ainsi que curieusement ce président, dont il avait été tant dit que, né longtemps après les guerres, il manquait de sens du tragique se trouve, et nous avec, projeté dans les retours de l’Histoire, entre barbaries du passé et barbaries du présent. Les références des années 30 resurgissent dans nos discussions des années 20, à presque un siècle d’écart. Bien que l’on sache depuis Marx que l’Histoire ne se répète pas, on se prend à espérer néanmoins que les enseignements du passé finissent par avoir un effet positif sur les impasses du présent. L’inverse serait à désespérer.

Sandrine Treiner

Editorialiste culture