Les trois fautes de Frédéric M.

par Jean-Paul Mari |  publié le 22/03/2024

Homme de cinéma, de télévision, écrivain et ministre, homme public talentueux et brillant, parfois touchant, Frédéric Mitterrand, mort à 76 ans, avait aussi sa part d’ombre  

Frédéric Mitterrand, alors ministre de la Culture et de la Communication, le 8 octobre 2009- Photo Joël SAGET / AFP

Un phrasé lancinant, un rythme nerveux, musical, une immense culture et une passion pour le cinéma, Frédéric Mitterrand était de ces hommes qu’on n’oublie pas dès la première apparition, le premier mot : « Bonsooir… » Une voix à la radio, bel homme, une grande élégance à la télé, le neveu du président était un homme doté d’un talent, né à la fois avec un nom et une immense cuillère en argent dans la bouche familiale.

Lycée Jeanson de Sailly, Sciences-po, admissible à l’ENA, son premier parcours est celui d’un grand bourgeois de gauche, brillant et promis à de hautes fonctions. Sauf que le papillon préfère la lumière des studios à l’obscurité des cabinets. La radio, la télé, les plateaux de cinéma, voilà le monde qu’il aime. Europe1, France Inter, France Culture, TF1 avec sa superbe émission Etoiles et toiles suivie de Ciné-Fêtes et de Permission de minuit. Oui, il brille, éblouit même, impressionne quand, ouvertement homosexuel, il ose tenir une rubrique dans Têtu et réalise en 1981 son premier long-métrage Lettres d’amour en Somalie, inspiré par la fin d’une histoire amoureuse avec un collaborateur.

Seulement voilà, déjà la légèreté semble l’emporter sur l’exigence. L’homme est fasciné par le mondain, tient avec une emphase assumée la rubrique des coulisses d’un septième art à paillettes, se passionne pour la cour de la Reine d’Angleterre et ses bibis roses. Cour et courtisan. Oh, ce n’est pas vraiment une faute, même si on l’attendait plus dans le registre des Cahiers du cinéma que dans celui froissé des papiers de Gala. Et que, omniprésent au Festival de Cannes, il a déjà perdu du terrain sur un illustre prédécesseur, François Chalais, dont les Chocolats de l’entracte avaient une autre saveur.

Bourré de talent, Frédéric Mitterrand est faible, et il le sait « Je m’arrange avec ma honte avec une bonne dose de lâcheté ». Il est incapable de résister à la lumière et aux ors officiels. En 2023, il a 62 ans, après avoir dirigé la célèbre Villa Médicis, il accepte de devenir ministre, de la Culture bien sûr, mais de Nicolas Sarkozy. Certains de ses amis s’en éloignent, jugeant que « l’homme de gauche » a vendu son nom pour un maroquin et apporté une caution à un Sarkozy habile à exploiter les faiblesses des autres.  

Entretemps, il a publié un livre confession, « La mauvaise vie »,une autobiographie romancée à succès où il raconte notamment ses voyages à Bangkok et ses nuits « avec les garçons » dans le quartier glauque de Patpong . Le monde parisien est d’abord touché par sa sincérité – faute avouée… Certes, il n’a pas le cynisme brutal et la veulerie d’un Gabriel Matzneff et parle de « ma honte comme un chagrin d’enfance », mais à une époque où l’argument littéraire ne fait plus défense, l’ouvrage finit par se retourner contre lui.

Aujourd’hui, les commentaires mentionnent avec précaution, pour respect pour le défunt – et par précaution pour son nom marqué à gauche ? – de ses activités de « tourisme sexuel », donc de prostitués rétribués, mais pas de pédocriminalité ,même quand il utilise les mots ambigus de « garçons » et de « gosses ». Lui, d’ailleurs, s’en défend avec conviction.

Atteint d’un cancer qui le rongeait depuis plusieurs années, Frédéric Mitterrand a quitté la lumière du monde à l’âge de 76 ans. Finalement, ses trois fautes d’inégale importance n’empêchent pas l’admiration, et la tristesse de sa disparition, mais laissent de lui une image abîmée, un bout de pellicule froissée, quand on imagine l’autre film de sa vie qu’il aurait pu tourner. Peut-être lui a-t-il manqué cette colonne vertébrale de l’âme des hommes qui forcent le respect. Et à qui on n’est pas obligé de poser cette question, gênante et inévitable : « Qu’as-tu fait de ton talent ? »

Jean-Paul Mari