Les trois guerres

par Jean-Paul de Gaudemar |  publié le 19/10/2024

Derrière la guerre brutale que se livrent Burhane et Hemetti pour le contrôle du Soudan, on peut apercevoir deux autres guerres non moins acharnées : celle entre les marchands d’armes du monde entier et une seconde, entre pays du Golfe.

Célébration dans les rues de Al-Qadarif après l'annonce des avancées des Forces armées soudanaises, le 28 septembre 2024 (Photo by AFP)

Le chaos actuel est né bien avant le 15 avril 2023, lorsque se produit l’affrontement direct entre les troupes de l’armée régulière du général Burhane, les Forces Armées Soudanaises (FAS) et les paramilitaires des Forces de Soutien Rapide (FSR) commandées par Hemetti.

En 2021, les deux forces avaient en effet fait front commun pour chasser les civils du pouvoir mais, peu à peu, les tensions pour le contrôle du territoire n’avaient cessé de monter, dans la capitale comme au Darfour. Un an et demi après, le bilan est effrayant, au moins 150 000 morts, 10 millions de déplacés à l’intérieur ou l’extérieur, 3,7 millions d’enfants sans école.

Jusqu’ici, toutes les tentatives de médiation, de l’Union Africaine et de ses médiateurs, des États voisins, de l’ONU, des États-Unis ou d’autres pays occidentaux, voire de la Russie, ont échoué, même pour l’obtention d’un simple cessez-le-feu. Si l’Égypte, liée au Soudan par une longue histoire, semble avoir pris le parti de Burhane, les autres pays semblent plus attentistes sur le plan politique.

Ainsi les États-Unis, soucieux avant tout de ne pas perturber l’actuelle campagne présidentielle, se contentent de réclamer un cessez-le-feu à vocation humanitaire, sans souhaiter trancher entre les deux protagonistes.

La Russie a semblé soutenir Hemetti dans un premier temps. Mais aujourd’hui, ce soutien n’est plus aussi évident, la Russie voulant obtenir enfin la création d’une base navale sur la mer Rouge près de Port-Soudan. Elle ne veut donc pas s’aliéner le chef de facto du Soudan pour avoir trop soutenu le paramilitaire rebelle.

Mais la guerre économique, fait aussi rage entre les marchands d’armes, Russie, Chine, Turquie, Serbie, EAU, Iran, Égypte… L’inventaire qu’en dresse Amnesty International est impressionnant. Le Conseil de Sécurité de l’ONU a bien essayé d’instaurer un embargo sur les livraisons d’armes, mais il n’a pu l’obtenir que limité au Darfour, la Chine et la Russie, s’opposant à toute extension au-delà. Au demeurant, le constat de son inefficacité est patent, les voies de contournement de cet embargo étant multiples : tous les pays limitrophes du Soudan agissant comme des intermédiaires dans ce commerce illégal.

Les pays du Golfe procurent depuis longtemps une aide économique et financière au Soudan, pour d’évidentes raisons géopolitiques, mais aussi du fait de ses ressources agricoles et minières. Leurs investissements portent sur de nombreux secteurs, tant agricoles qu’industriels ou miniers, malgré les sanctions américaines qui pèsent sur le pays depuis plus de vingt ans. Mais les pays du Golfe n’en ont cure, persuadés qu’ils sont de leur impunité. La compétition économique et le soutien militaire qu’ils apportent au Soudan reflètent assez fidèlement les tensions qui existent par ailleurs entre les pays du Golfe eux-mêmes. D’où le fort sentiment de guerre par procuration.

Les Émirats Arabes Unis (EAU) constituent le soutien le plus déterminé aux paramilitaires de Hemetti. Il en est de même pour l’Iran. En revanche, le Qatar est plus clairement engagé auprès de Burhane, en une configuration classique des rivalités entre Abu-Dhabi et Doha. L’Arabie Saoudite et le Koweït semblent plutôt alignés sur l’Égypte et la Turquie dans le soutien à Burhane.

Une chose est sûre, selon le dénouement du conflit actuel, les équilibres géopolitiques et économiques seront fortement modifiés.

Jean-Paul de Gaudemar

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