Les voyous de la démocratie
Y a-t-il un lien entre populisme et délinquance ? À examiner six exemples de leaders suprêmes accusés par la justice, on est tenté de le croire
Donald Trump, Jair Bolsonaro, Silvio Berlusconi, Benyamin Netanyahou, Nicolas Sarkozy…
C’est une impressionnante brochette. On pourrait même en faire un avis de recherche, à la manière des affiches qu’on voyait dans l’Ouest américain du 19e siècle : « Wanted ». Ce sont les chefs d’État ou de gouvernement, anciens ou en exercice, en délicatesse avec la justice, dont la liste s’est brutalement allongée depuis l’émergence du populisme dans les démocraties.
Au premier rang, bien sûr, le plus connu, le plus provocant, Donald Trump, mis en cause par la justice américaine dans trois affaires, dont l’une est particulièrement grave, puisqu’on lui reproche d’avoir voulu perpétrer un coup d’État contre la plus grande (mais non la plus irréprochable) démocratie de la planète, les États-Unis. Vient ensuite le recordman des accusations, Jair Bolsonaro, visé par au moins seize enquêtes judiciaires dont une bonne part pourrait lui valoir, soit la prison, soit l’inéligibilité totale.
En troisième position, on trouve Silvio Berlusconi, disparu récemment, mais qui fut le véritable pionnier des embardées populistes qui caractérisent ce groupe de prévenus.
Benyamin Netanyahou les suit de près, poursuivi pour corruption, fraude et abus de confiance dans plusieurs dossiers. En queue de peloton arrive Boris Johnson, convaincu de mensonge au Parlement par une commission de la Chambre des Communes et qui a dû quitter la vie politique, et Nicolas Sarkozy, deux fois condamné, qui vient d’être renvoyé devant un autre tribunal pour l’affaire du « financement libyen » mais qui continue d’occuper la scène.
Six personnages en quête d’innocence
Six personnages en quête d’innocence, donc, qui sont souvent en instance de jugement et non condamnés, mais qui font face à des charges lourdes et parfois même accablantes dans le cas de Trump et Bolsonaro, puisqu’elles touchent à leur irrespect, non seulement de la loi, mais des institutions démocratiques.
On le remarque d’emblée : tous ces proto-délinquants sont peu ou prou rattachés au courant du «populisme nationaliste » contemporain, né à la fin du 20e siècle. Comment expliquer cette ressemblance entre ces hommes, forts différents par ailleurs et évoluant chacun dans un contexte politique particulier ? On se gardera d’expliquer cette tendance à l’illégalité par une orientation à droite.
Il y a aussi des délinquants à gauche. Aussi bien, dans les deux camps, la grande majorité des élus sont honnêtes. En revanche, le style politique, la méthode, les obsessions rassemblent ces six têtes d’affiche.
Tous ont fait carrière en dénonçant le « politiquement correct », la « langue de bois », le conformisme des élites. On a le sentiment que ce rejet de la bienséance – jugée hypocrite – ce goût de la provocation, ce refus de respecter les règles habituelles du jeu politique, s’étend ensuite aux dispositions légales, qu’on juge secondaires, inopportunes ou paralysantes.
À force de critiquer « les bien-pensants », on légitime les mal-pensants
Quand on pratique la transgression systématique, on en vient à transgresser la loi elle-même. À force de critiquer « les bien-pensants », on légitime les mal-pensants et, bientôt, les malfaisants.
On se sent d’autant plus autorisé à le faire que l’on s’adresse à un électorat pour qui tous les élus, pris comme une caste, sont dits cyniques, menteurs et malhonnêtes. Les citoyens antisystèmes croient au «tous pourris ». Les fautes commises par les hommes politiques qu’il soutient paraissent alors ressortir de la norme, de la banalité. L’électeur du populisme se dit : puisque tous sont délinquants, nous continuerons de soutenir les nôtres.
Et c’est un fait que Berlusconi, Netanyahou, Trump ou Sarkozy ont conservé leur popularité en dépit de leurs ennuis avec la justice, comme si le bruit des casseroles qu’ils traînent derrière eux se perdait dans un concert général.
A cela s’ajoute une autre croyance très répandue chez les électeurs du populisme : il n’y a dans la vie politique que manœuvres occultes, règlements de compte plus ou moins obliques, coups tordus et combines partisanes. Dès lors, quand un populiste se dit victime d’un complot, ses électeurs le croient. Trump, Netanyahou, Sarkozy et les autres se défendent en invoquant les menées maléfiques de leurs adversaires. Ils ne sont jamais coupables, mais toujours victimes.
Ils affrontent, non la réprobation de la justice, mais une cabale diabolique ourdie par l’extrême-gauche, les élites, les bien-pensants, etc.
Tous, de Sarkozy à Trump, dénoncent une « justice partisane »
Vient enfin un raisonnement de nature idéologique. Pour ces leaders, seule compte la volonté supposée du peuple. Une fois cette volonté exprimée, rien ne doit jamais l’entraver, surtout pas les scrupules de la justice. Tous, de Sarkozy à Trump, dénoncent une « justice partisane » qui exercerait un pouvoir excessif – le « gouvernement des juges » – mis au service de la gauche ou du progressisme.
Ainsi la polémique sur la justice se substitue à la discussion rationnelle autour des charges qui pèsent contre ces leaders du populisme. On masque l’illégalité en niant la légitimité des défenseurs de la légalité.
Il n’est que deux manières de contrer cette redoutable tactique…
Il n’est que deux manières de contrer cette redoutable tactique : soutenir la justice indépendante dans son travail, qui finira bien par aboutir ; rappeler inlassablement les éléments objectifs qui ont conduit tout ce beau monde devant les tribunaux.
En espérant qu’à la fin de la partie, grâce à des juges honnêtes et des journaux attachés à l’état de droit, la raison et la simple vérité l’emporteront sur les « vérités alternatives ».