Un polar politique au cœur de la France des 70’s

par Alfred de Montesquiou |  publié le 06/12/2024

Un roman graphique dense et subtil, L’Escamoteur explore les arcanes de l’extrême-gauche des années 70 françaises, pour décrire de l’intérieur comment l’idéalisme politique d’une frange de mai 68 s’est mué en vague d’attentats.

Une partie du dessin de la couverture de la BD "L’Escamoteur". (© Éditions Futuropolis)

Thriller policier qui mêle espionnage et coups tordus, doublé d’une étude sociale très fine sur les dérives d’une frange radicale à la gauche de la gauche, elle-même portée par l’enquête sur un personnage mystérieux et charmant, peintre libanais en exil devenu agent-double et qui donne son titre au récit : « L’Escamoteur » est un roman graphique d’une ambition et d’une délicatesse rares.

Il s’agit bien d’un roman, de plus de 300 pages, habilement mis en images, où s’entremêlent les différents niveaux de récit pour tracer une grande fresque de la mouvance terroriste Action Directe. Tout en nuances de gris, comme la bichromie de ses planches en demi-teintes, ce récit sur les parts d’ombres aux marges de la vie politique française se trouve mis en abîme par les auteurs eux-mêmes, qui livrent au passage leur propre vécu et leurs doutes au fil d’une investigation singulièrement complexe…

Le dessinateur Sébastien Goethals et l’écrivain-podcasteur Philippe Collin se sont donc donnés pour tâche de comprendre un mystérieux peintre franco-libanais, compagnon de route de l’extrême gauche, du nom de Gabriel Chahine, qui finira assassiné par le groupe Action Directe en 1982. Au fil de leur quête, on découvre tout un monde de cellules et de groupuscules où l’idéal politique se métastase en attentats anticapitalistes et en assassinats. Un univers finalement méconnu, où les violents antagonismes politiques des années Giscard entraînent la mue douloureuse de l’appareil policier avec l’arrivée au pouvoir de François Mitterrand en 1981.

On apprend au passage que l’Élysée fit alors sortir de prison certains membres d’Action Directe pour les enrôler dans un service de barbouzerie, inspiré du SAC gaulliste mais visant l’extrême-droite. C’est la minutie de la traque, ce jeu du chat et de la souris entre les flics des Renseignements Généraux et les commandos d’extrême-gauche, qui donne son souffle au récit – dont il faut parfois surmonter l’aspect un brin bavard. Mais tout est véridique dans ce polar, dont les planches fourmillent d’informations passionnantes – d’ailleurs complétées en fin d’ouvrage par un dossier d’historien – pour lever le voile sur un angle mort de la mémoire collective française.

Alfred de Montesquiou

L’Escamoteur – Dessin Sébastien Goethals, scenario Philippe Collin. 316 pages, Éditions Futuropolis, 26 euros

Consulter les planches de la BD de la page 39 en cliquant sur ce lien ainsi que la page 54 en cliquant sur ce lien

Alfred de Montesquiou