L’espion qu’Israël ne voulait pas croire…

publié le 21/10/2023

Israël n’a pas vu venir le Hamas. Faute du renseignement ou d’une négligence du gouvernement ? Déjà, en 1973, à la veille de la guerre du Kippour, la confusion régnait. Par Pierre Feydel

Un soldat israélien monte la garde dans un camp de l'armée israélienne dans le Sinaï pendant la guerre israélo-arabe de 1973. Le 6 octobre, à l'occasion de la fête juive de Yom Kippour, une coalition militaire arabe menée par l'Égypte et la Syrie lance une attaque surprise simultanée dans la péninsule du Sinaï et sur le plateau du Golan, territoires occupés par Israël depuis la guerre israélo-arabe de 1967 - Photo AFP

Quand le 4 octobre 1973, « L’ange » appelle de Paris, son officier traitant du Mossad, et annonce que l’offensive syro-égyptienne est imminente, le service de renseignement extérieur israélien prend l’information très au sérieux. D’autant que derrière le surnom de « l’Ange » se cache Achraf Marwan.

Ce jeune Égyptien, de 29 ans a ,dès 1969, par un simple coup de téléphone appelé l’ambassade israélienne pour proposer ses services. Il achève des études de chimie dans la capitale britannique. Mais surtout, il est le gendre du maître de l’Égypte, Gamal Abdel Nasser, dont il a épousé la fille Mona. Et il a attiré l’attention des services israéliens par ses dépenses et ses dettes importantes. Vérifications faites, le Mossad l’embauche contre une grasse rétribution.

Nasser meurt en 1970. Son successeur Anouar El Sadate est peu enclin à s’entourer des ex-proches du Raïs. Mais Achraf se faufile. Le voilà nommé « secrétaire aux questions d’information auprès du président. » Un titre vague ,mais qui lui donne accès à bien des secrets qu’ils partagent avec le Mossad. Il gagne ainsi leur confiance.

Le 4 octobre, il réclame une entrevue à Londres pour préciser au chef du Mossad, le général Zvi Zamir, les tenants et les aboutissants de ce renseignement crucial. Ce dernier n’a qu’une question : quand ? Il se jette dans un avion. Dans une chambre d’un hôtel londonien. « L’ange »  lui assure que l’attaque débutera le lendemain, le 6, à la tombée du jour. Rentré aussitôt en Israël, le chef du Mossad s’empresse d’informer son gouvernement.

Le Premier ministre Golda Meir l’écoute avec attention. Le ministre de la Défense, Moshe Dayan, émet des doutes. Élie Zeira, le chef du renseignement militaire, l’Aman, est carrément hostile. Il pense que les Arabes n’oseront jamais. Et puis, les Égyptiens attendraient que les Soviétiques leur livrent des chasseurs bombardiers et des missiles Scud. D’ailleurs Achraf Marwan a déjà, à plusieurs reprises, alerté le Mossad d’une offensive arabe imminente.

ll a déjà annoncé une attaque à la fin de l’année 1972, puis de nouveau à la date du 15 mai 1973. Il ne s’est rien passé. Golda Meir convoque une réunion du gouvernement et de l’état-major le 6 au matin. On discute, on suppute. Il est décidé de mobiliser une partie des réservistes. Trop tard, les sirènes retentissent. L’Égypte a attaqué. Quatre heures plus tôt que prévu. Achraf a-t-il sciemment menti sur l’heure ? Golda Meir ne se remettra jamais de ses hésitations. Elle démissionnera après la guerre. Moshe Dayan, déprimé, sera mis à l’écart.

Quant à Asraf Marwan, en 2007, il tombera de son balcon au quatrième étage d’un immeuble londonien. Sa femme Mona crie alors au meurtre. Il se disait menacé par le Mossad et rédigeait ses mémoires. Le manuscrit a disparu. L’Égypte l’enterre en héros. Israël le vénère comme tel. Personne ne veut avoir été trompé. Mais, « L’Ange », après tout, n’était peut-être qu’un agent double qui ne savait plus à qui allait sa fidélité.