L’étau des taux

par Bernard Attali |  publié le 18/11/2023

Le bon Docteur Knock dirait : l’économie mondiale est un malade qui s’ignore…

Quand l’inflation sévit et pour éviter qu’elle ne s’emballe, les banques centrales sont obligées d’intervenir en augmentant les taux d’intérêt. C’est ce qu’elles font en ce moment. De ce fait, les États endettés, comme les particuliers d’ailleurs, paient plus cher leurs emprunts. Et sont obligés de ralentir leurs investissements. Ce qui annonce une récession. Y sommes-nous ?

Globalement l’inflation sous-jacente reste à 4 %, loin de l’objectif de la Fed à 2 %. De ce fait, tous les experts savent que les taux d’intérêt ne peuvent plus beaucoup baisser. Le rendement des obligations à long terme reste élevé partout : le gouvernement américain doit désormais payer 5 % pour emprunter à 30 ans, contre 1,2 % au plus dur de la récession pandémique.

Les dettes publiques s’envolent. Selon le FMI la Grande-Bretagne, la France, l’Italie et le Japon doivent tous enregistrer des déficits records en 2023. Le déficit américain atteint la somme extravagante de … 2 milliards de milliards de dollars, soit 7,5 % du PIB, le double de ce qui était prévu à la mi 2022. Au total, la dette publique des pays riches n’a jamais été aussi élevée depuis les guerres napoléoniennes.

Les risques géopolitiques, le ralentissement du commerce mondial et le vieillissement de la population n’inclinent pas à l’optimisme

Si les États-Unis s’en sortent plutôt bien, l’Oncle Sam flirte avec le protectionnisme. L’Allemagne n’est plus le moteur de l’Europe et paye très cher ses dépendances à l’énergie russe et au marché automobile chinois. La Chine est au bord d’une grave crise immobilière, alors que son taux de croissance est réduit à la moitié de son niveau habituel. Plus généralement, les risques géopolitiques, le ralentissement du commerce mondial et le vieillissement de la population n’inclinent pas à l’optimisme. Quant aux gains de productivité attendus des nouvelles technologies… c’est l’Arlésienne.

La France, elle, atteint glorieusement 0,1 % de croissance au troisième trimestre. Pour le Trésor français, le taux d’intérêt à 10 ans était nul il n’y a pas si longtemps. Il sera de 3,5 % en 2024. La charge de la dette sera de 84 milliards en 2024, au lieu des 60 calculés il y a un an. C’est au pied du mur qu’on voit sa hauteur !

Sans être agrégé d’économie, on peut comprendre que si les taux d’intérêts à long terme restent à des niveaux élevés le coût du financement des entreprises augmente, l’investissement favorise le court terme et l’urgent l’emporte sur l’important. Nous allons vivre aux crochets des générations qui viennent. Pas de quoi être fier.

Il faut avoir le cœur bien accroché pour penser que, dans ce contexte, l’économie mondiale pourra accomplir tout ce que l’on attend d’elle : éviter la récession, contenir l’inflation, financer les dettes, assurer la transition énergétique et relancer les dépenses de défense. Comme l’écrivait récemment « The Economist », « tout cela relève d’un énorme pari ». Prions, mes frères…

Bernard Attali

Editorialiste