L’étrange Fonds Marlène

par Laurent Joffrin |  publié le 14/06/2023

Soupçons sur l’usage de l’argent du « Fonds Marianne », destiné aux associations promouvant les valeurs de la République. Mais sa créatrice, Marlène Schiappa, n’a rien vu, rien su et rien entendu…

Laurent Joffrin

Après l’assassinat barbare de Samuel Paty, Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur, chargée de la citoyenneté, annonce la création du « Fonds Marianne », qui doit aider les associations promouvant les « valeurs de la République », doté de 2,5 millions d’euros. Pourquoi pas ? À l’échelle du budget de l’État, le montant reste modeste et ces subventions peuvent aider à porter la bonne parole sur les réseaux sociaux.

Mais à la suite d’enquêtes de presse, notamment celles de Mediapart et de Marianne (le journal) le fonctionnement du fonds fait l’objet d’une information judiciaire pour « détournement de fonds » et « abus de confiance ». On dira, à juste titre, qu’il s’agit d’une « information ». Personne ne peut en déduire la culpabilité des personnes mises en cause ni celle de la ministre. Il y faut une enquête en bonne et due forme et une procédure judiciaire complète.

Néanmoins, le président de la structure administrative chargée de surveiller l’attribution des fonds, Christian Gravel, a dû démissionner après une enquête interne jugée « accablante ». Il apparaît en effet, selon les enquêteurs, que certaines associations, deux en tout cas, n’ont pas produit les prestations attendues et que l’argent alloué a surtout servi, dans un cas, à financer le salaire de son responsable (lequel se défend en arguant d’un réel travail accompli).
Pour l’instant, donc, des soupçons, des étrangetés, des bizarreries et un parfum de favoritisme.

Alors où est le scandale ? Le voici : devant la commission sénatoriale qui s’est saisie de l’affaire – et avec un effet comique sans doute involontaire – Marlène Schiappa s’est ingéniée à répondre à côté des questions, à prétendre qu’elle ne les comprenait pas, à plaider la distance, l’ignorance, l’inconscience, la méconnaissance d’une ministre occupée à bien d’autres choses, qu’on devine bien plus importantes.

« De minimis non curat praetor », disait-on à Rome, proverbe latin qui signifie que « le préteur (magistrat romain) ne doit pas s’occuper des causes insignifiantes ». En clair, selon Marlène Schiappa, la responsabilité des étrangetés relevées au cours des enquêtes repose, non sur la ministre, mais sur les collaborateurs par elle choisis et qu’elle voyait tous les jours.

Après avoir annoncé à son de trompe la création du « Fonds Marianne », la ministre explique donc, avec un courage remarquable, qu’elle n’a rien vu, rien su, rien entendu, rien vérifié ni rien évalué des effets de sa décision. Les coupables ? Les lampistes, par elle désignés et abandonnés à leur triste sort.

En fin d’audition, Marlène Schiappa annonce bravement qu’elle assume la « responsabilité politique » de l’affaire. Au vrai, il faut inverser la formule : Marlène Schiappa assume « la politique de l’irresponsabilité ». Voilà qui ne risque guère de conforter la confiance de l’opinion dans les responsables politiques…

Laurent Joffrin