L’Europe face à la Turquie: tout à gagner…ou à perdre
Kemal Kiliçdaroglu, l’opposant à Erdogan, porte les espoirs du camp occidental pour une Turquie plus moderne et plus ouverte. Avec 45 % des voix, ses chances de l’emporter le 28 mai au second tour de l’élection présidentielle, sont minces mais pas nulles
Nous européens y avons cru et avons encore envie d’y croire : Kemal Kiliçdaroglu peut-il encore renverser le président Erdogan en poste depuis vingt ans ? Dimanche 14 mai, lors du premier tour, la « stabilité et la sécurité » l’ont emporté, s’est réjoui Erdogan à l’annonce de son résultat de 49,4 % des voix. Favori, ce résultat le contraint pour la première fois depuis vingt ans à un second tour de scrutin.
Le pays est divisé entre la Turquie profonde que symbolise Erdogan et l’élan insufflé par la jeune génération en faveur d’une Turquie plus moderne porté par Kiliçdarogolu.
Le 14 mai, Erdogan a bénéficié de trois soutiens.
D’abord, celui des musulmans conservateurs inquiets de l’alévisme – courant minoritaire, progressiste et humaniste- que revendique son opposant. Ensuite, de chefs d’entreprise influents, bénéficiaires de son clientélisme depuis vingt ans. Enfin, des médias, sous la coupe d’Erdogan, qui lui ont accordé 48 heures d’antenne pendant la campagne électorale contre seulement… 32 minutes à son rival.
Pour l’Europe, la déception est grande tant les sondages annonçaient Erdogan battu. Tout comme l’Europe n’avait pas voulu croire en la victoire de Donald Trump ni vu venir la volonté de Vladimir Poutine d’envahir l’Ukraine. Une Europe qui ne comprend plus l’attachement des Turcs à un président marqué par la corruption et l’autocratisme civil et militaire. Et s’inquiète d’une Turquie prête à rejoindre la galaxie des pays hostiles au camp occidental.
Vus d’ici, les enjeux du 28 mai sont considérables. Erdogan au pouvoir, c’est un président qui refuse de prendre parti dans la guerre en Ukraine et affiche volontiers sa proximité avec Vladimir Poutine. A la tête d’un grand pays qui abrite les bases stratégiques de l’OTAN indispensables aux Américains pour se déployer vers l’Est. Toute une partie du monde devenue le point névralgique d’une éventuelle guerre de haute intensité. Avec désormais un « allié » à la fiabilité douteuse.
Face à l’Europe, la Turquie d’Erdogan oppose aujourd’hui un régime marqué par son repli sur un islam proche des Frères musulmans, obsédé par une lutte systématique contre les Kurdes et qui exige des Européens un prix fort pour accepter de maintenir sur son territoire 3,6 millions de réfugiés syriens.
Pour Paris, elle incarne le régime dominateur et incontrôlable du « reis » Erdogan dont les relations avec Emmanuel Macron sont exécrables.
Existe-t-il encore un espoir de changer le cours de l’histoire ? La clé de l’élection réside dans le MHP, parti ultra-nationaliste qui, avec ses 5 % des voix, tient dans ses mains le sort du vainqueur.
Paradoxe : Sinan Ogan, leader du MHP, est membre déterminant de la majorité parlementaire aux côtés de l’AKP, donc un allié naturel d’Erdogan. Mais il se dit pourtant prêt à rencontrer Kemal Kiriçdaroglu. Qu’ont-ils à se dire ou à négocier ? Réponse d’ici le 28 mai.