L’Europe joue sa crédibilité
La réponse de l’Union européenne à la menace russe doit constituer une nouvelle étape de son approfondissement, et du renforcement de sa crédibilité face aux empires qui se constituent.

La question n’est pas de se demander si les chars du Kremlin risquent de défiler demain sur les Champs-Élysées à Paris, sur les Ramblas à Madrid ou Piazza Navona à Rome. Absurde! Mais il s’agit de savoir si l’Union européenne existe, et ce qu’elle doit devenir. Certes, les pays les plus à l’ouest de UE ne sont pas les plus directement concernés par la menace russe. En revanche, la Finlande et les trois pays baltes, qui partagent une frontière commune avec la Russie, ainsi que la Suède et la Pologne à portée de missiles, n’entretiennent aucune illusion sur le caractère belliciste de Moscou. Ils mettent déjà en oeuvre des stratégies de défense.
Leur perception de la menace implique que tous les autres membres de l’UE prennent des dispositions pour réagir au cas où elle se matérialiserait. Par solidarité, bien sûr, comme ils le font avec l’Ukraine. Mais aussi parce que leur participation à l’Union implique leur adhésion à la politique européenne de sécurité et de défense commune (PSDC) du traité de Lisbonne, entré en vigueur en 2009. La clause de défense mutuelle du traité prévoit que, dans le cas où un État membre subirait une agression armée, les autres États membres lui apportent « aide et assistance ». Le champ couvert par la clause de solidarité de l’UE s’étend aux moyens militaires, et une coopération renforcée peut être mise en place par un nombre restreint de pays qui souhaiteraient venir en aide à un autre membre. Ceci en guise de rappel.
Dans le contexte que l’on connaît et si la construction européenne a un sens, alors le réarmement des membres de l’Union qui ont eu tendance à rogner sur leurs dépenses militaires s’impose aujourd’hui. Car si les pays limitrophes de la Russie devaient répondre à une agression, c’est l’Union européenne dans son ensemble qui devrait répliquer. D’autant que, dans le cadre des guerres hybrides et des agressions de type cyber, l’éventualité d’une attaque n’est pas strictement territoriale.
C’est une évidence qui, toutefois, n’est pas partagée. Des pays comme l’Espagne et l’Italie, qui condamnent l’agression de l’Ukraine par la Russie, traînent les pieds pour renforcer leur potentiel militaire. Ils comptent sur le parapluie de l’Otan au cas où de nouvelles agressions surviendraient. Sans parler de la Hongrie qui joue une partition dissonante face à Moscou. Mais on mesure aujourd’hui la fragilité de ce parapluie après le changement de paradigme de la politique américaine sous Donald Trump, fragilité qu’Emmanuel Macron avait déjà pointée en 2019 en évoquant la « mort cérébrale » de l’OTAN. C’était alors le premier mandat de Donald Trump à la Maison-Blanche. L’adhésion à l’OTAN ne dispense pas du respect des engagements européens dans le cadre de la PSDC.
Bien sûr, la hausse de budgets de défense déclenche des polémiques dans les pays membres. En France, le RN et LFI s’y opposent, prônant la concentration des stratégies sur le seul territoire national ou jugeant ce dossier secondaire par rapport à d’autres priorités budgétaires. Ce n’est pas un hasard si les deux partis populistes sont aussi les plus critiques sur la construction européenne, dans une opposition à géométrie variable.
Mais à l’inverse, si la construction européenne est un cadre indéfectible pour les États qui ont choisi d’y participer et de l’approfondir, le renforcement d’une force de dissuasion en armes conventionnelles devient une priorité. Dans un monde en mutation, c’est un gage d’indépendance pour une Union de membres souverains, en association avec d’autres pays solidaires comme le Royaume-Uni et le Canada, qui font le même constat quant à la condition de leur propre souveraineté.