L’Europe larguée
En une décennie, les États-Unis ont repris une avance décisive sur le vieux confinent. Cette réalité bouscule tous les schémas idéologiques.
C’est un simple article du Monde rédigé par son correspondant à New York, un parmi tant d’autres, mais qui fera grand bruit. À travers une enquête auprès des Français travaillant aux États-Unis, Arnaud Leparmentier démontre sans appel que l’Europe est en passe, face à une Amérique triomphante, d’être reléguée dans une miteuse deuxième division.
Au-delà de plusieurs exemples qui traduisent le décalage de niveau de vie entre Américains et Européens, un chiffre résume l’affaire : l’écart entre le PIB par tête constaté de chaque côté de l’Atlantique est passé en dix ans de 50 % à 80 %. Sous quelque rapport qu’on se place, les États-Unis ont rétabli leur prédominance technologique, financière, industrielle et scientifique. En fait, depuis le second mandat d’Obama, sous Trump et sous Biden, l’économie américaine est soudain passée à la vitesse supérieure, entraînant sa population dans un mouvement de prospérité inconnu depuis des lustres, laissant l’Europe loin derrière, empêtrée dans la stagnation et la désindustrialisation. Outre le constat brut, que toute politique menée sur le vieux continent doit désormais prendre en compte, cette réalité bouscule tous les courants de pensée qui s’affrontent dans l’arène européenne.
Voyez ! diront les libéraux, le règne du marché est le seul gage d’efficacité. Peut-être, mais l’envol américain s’explique aussi par des investissements publics massifs, une politique monétaire tout sauf orthodoxe et un déficit budgétaire abyssal. L’action de l’État explique la réussite, aussi bien que celle du secteur privé.
Illusion ! diront les nationalistes. Ces résultats économiques masquent une décadence irrésistible de l’Occident et font oublier la « submersion migratoire ». L’ennui, c’est que ce bond en avant américain s’est aussi appuyé sur une immigration massive, sur des accords de libre-échange au nord et au sud et n’a guère été gênée par la soi-disant « dictature du wokisme », qui n’a pas l’air de handicaper outre mesure l’Amérique.
Attention ! dira la gauche, cette croissance a surtout profité aux grandes entreprises et à leurs propriétaires. Vrai et faux : les capitalistes se sont rempli les poches, c’est un fait, mais l’absence de chômage a amélioré le rapport de forces sur le marché du travail et poussé les salaires vers le haut.
Horreur ! s’exclameront certains écologistes, la croissance prédatrice et destructrice est une nouvelle fois érigée en modèle. Certes. Les États-Unis polluent énormément. Mais ils ont investi dans l’environnement (sous Biden) et commencent à faire des progrès. Quant à la politique de décroissance parfois prônée en Europe, elle aurait, quoi qu’on en pense, l’inconvénient de creuser encore le fossé de prospérité et de niveau de vie entre Européens et Américains.
On se gardera donc ici de tirer des leçons idéologiques péremptoires de ce nouveau « défi américain ». Ce qui est sûr, en revanche, c’est que sans une réaction énergique dans tous les domaines du savoir, de la recherche, de l’industrie et de la formation, l’Europe s’enfoncera dans les profondeurs du classement des puissances mondiales.