L’Europe peut-elle sauver l’Ukraine ?
Inquiète de l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, la diplomatie européenne met les bouchées doubles pour organiser elle-même le soutien à l’Ukraine. Jusqu’à esquisser les premiers contours d’une défense européenne.
Pour l’Ukraine comme pour la Russie, les horloges tournent de plus en plus vite. Elles le feront jusqu’à ce lundi 20 janvier où Donald Trump gravira les marches du Capitole. Les ministres des affaires étrangères de l’OTAN ont passé ensemble la journée de mardi à Bruxelles avec leur homologue ukrainien, Rustem Umerov. Officiellement ils n’ont parlé que du tir du missile russe expérimental de moyenne portée récemment utilisé contre Kiev, mais susceptible de toucher le reste de l’Europe. Vladimir Poutine a fait savoir en effet qu’il n’hésiterait pas à l’employer contre les pays européens qui apportent une aide militaire à Kiev.
Ce nouveau palier dans le conflit coïncide avec une poussée de plus en plus évidente des forces russes dans le Donbass. Chaque nuit, une nuée de drones kamikazes, en moyenne autour de 180, s’abat depuis le ciel sur l’est ukrainien. Au sol, les unités russes, aidées depuis peu par des soldats nord-coréens, s’emparent d’une maison, d’un hameau, d’un village, un grignotage qui leur permet parfois de gagner une centaine de mètres…
La perspective d’un désengagement américain en Ukraine suscite aujourd’hui une véritable effervescence diplomatique en Europe. Et l’on reparle d’envoyer du personnel spécialisé en appui sur le terrain. En mai dernier, le président Macron avait soulevé un tollé dans plusieurs capitales européennes et en France en évoquant la perspective de troupes au sol dans l’hypothèse d’une percée russe sur les lignes de front. Rien de tel aujourd’hui.
Depuis lors, ministre ukrainien de la défense Rustem Umerov a fait trois visites à Paris, souvent pour rencontrer les unités de Kiev en formation dans des bases tenues secrète dans l’est de la France. Le ministère des armées précise que Paris a préparé près de 10.000 combattants ukrainiens en trois ans. La France pourrait accentuer encore son engagement afin de faciliter la maintenance des véhicules et des systèmes d’arme qu’elle a déjà fourni et qui sont soumis à une exploitation intensive. Dans cette perspective, un prestataire privé comme la société « Défense conseil international » qui opère déjà pour le compte des armées françaises sur certains contrats à l’export, se rendrait à Kiev pour assurer l’entretien du matériel et la formation des techniciens militaires ukrainiens.
En déplacement à Londres vendredi le ministre des affaires étrangères Jean-Noël Barrot a conseillé aux européens « de ne pas se fixer des lignes rouges » dans leur soutien aux ukrainiens. Autrement dit, la question d’une présence militaire sur le terrain n’est pas à l’ordre du jour mais tout de même… Avec les Britanniques, les échanges sont intenses depuis le tout début de l’agression russe. Londres avait stigmatisé très vite l’invasion de l’Ukraine, et le Premier ministre Boris Johnson a été premier dirigeant du G7 à se rendre à Kiev, dès le mois d’avril 2022.
Le même Jean-Noël Barrot, à Rome cette fois, a levé un coin du voile sur l’avenir de l’Otan si d’aventure l’administration américaine lâchait l’Europe. Avec son homologue italien Antonio Tajani, il a parlé de mettre en place un instrument financier permanent pour monter une défense européenne pérenne.
Derrière la crise ukrainienne se dessine ainsi peu à peu l’architecture d’une autre défense européenne. Sans les Américains. Dans ce schéma, encore embryonnaire, apparaît un noyau initial formé de la Grande-Bretagne et de la France, deux puissances nucléaires, renforcé par la Pologne qui, depuis l’agression russe, fait des efforts budgétaires importants pour constituer une armée solide, étoffé enfin par les pays baltes qui sont en première ligne. Encombrée par la crise de sa coalition gouvernementale, l’Allemagne semble paralysée pour l’instant. Mais l’incertitude de Berlin pose un vrai problème pour faire avancer ce projet. Sans même parler de l’instabilité croissante de notre pays.