Génération perdue, pari gagné
Avec Leurs enfants après eux, on pouvait craindre le pire. Adapter un roman est toujours une gageure, et les déceptions sont plus fréquentes que les satisfactions. Ce n’est pas le cas ici.
En choisissant les jumeaux Ludovic et Zoran Boukherma, 64 ans à eux deux, les talentueux producteurs que sont Hugo Sélignac et Alain Attal, ne se sont pas trompés. Le pari était risqué. Les deux frères, issus de l’école de cinéma de Luc Besson, n’ont que quelques films (pas toujours convaincants) à leur actif : « Willy 1er », « Teddy » ou « L’année du requin ». Pourtant, le pari est gagné.
Le gros roman de Nicolas Mathieu, Leurs enfants après eux, prix Goncourt en 2018, 400 000 exemplaires vendus dans l’Hexagone et une vingtaine de traductions dans le monde, est dense, réfléchi, d’une dimension psychologique et sociologique qui aurait pu se révéler compliquée à traduire lors du passage à l’écran.
Si les frères Boukherma ont effectué des coupes que l’on peut regretter – mais le film dure quand même 2h24 ! -, ils ont rempli leur contrat. Et illustrent parfaitement la citation de la Bible qui donne son étrange titre au roman : « Il en est dont il n’y a plus de souvenir, ils ont péri comme s’ils n’avaient jamais existé ; ils sont devenus comme s’ils n’étaient jamais nés, et de même, leurs enfants après eux ». Siracide ; 44,9
Heillange, 1992. Dans cet Est déserté par l’industrie, les adolescents tournent en rond sous une chaleur caniculaire. « On s’emmerde », déclare Anthony, adolescent mal dans sa peau. Avec son cousin, ils sont invités, pour le soir même, par deux filles rencontrées au bord du lac où ils traînent leur ennui. Trop loin pour y aller à vélo. Seule solution, emprunter la moto cross de son père, une YZ 125. Funeste idée. Au petit matin, la bécane a disparu. Et les embrouilles commencent.
L’action se déroule sur quatre étés, jusqu’en 1998 – avec en prime une grande scène pendant la finale de France-Brésil. Fresque générationnelle, « Leurs enfants après eux » jette un regard mélancolique et désespéré sur cette France d’en bas sans espoir de lendemains meilleurs. Une France où le fossé de classe est infranchissable. Amoureux de Stéphanie, la fille la plus convoitée de la région, une « bourge », Anthony ne sait pas quoi d’autre lui dire que « T’es belle ». C’est un peu court jeune homme …
Il faut saluer la performance collective des acteurs réunis avec beaucoup de justesse, avec une mention spéciale à Ludivine Sagnier, Gilles Lellouche, Sayyid El Alami ou Paul Kircher, lequel a remporté le prix du meilleur espoir masculin à la dernière Mostra de Venise. Un coup de chapeau également à la bande son, véritable best of de la décennie, qui invite Johnny, Goldman, Pagny, Cabrel, IAM, NTM, Nirvana, Red Hot Chili Peppers, Pixies … Et pour le générique de fin, Bruce Springsteen. Il paraît que l’un des jumeaux a, tatoué derrière l’oreille, Born to Run, le titre emblématique du Boss…
« Leurs enfants après eux » De Ludovic et Zoran Boukherma. Avec Paul Kircher, Angélina Woreth, Sayyid El Alami, Louis Memmi, Ludivine Sagnier, Gilles Lellouche. 2h24