LFI, RN… : quelles dynamiques de vote chez les jeunes pour les Européennes ?
Les jeunes générations connaissent l’Union européenne et ont grandi avec des programmes comme Erasmus. Cette familiarité se traduit-elle dans les urnes ?
Quelles sont les tendances qui se dégagent à l’approche du scrutin du 9 juin 2024 ? Réponses d’Anne Muxel, directrice de recherche en sociologie et sciences politiques et directrice déléguée du Centre de recherches politiques de Sciences Po.
Comment les jeunes se mobilisent-ils pour les élections européennes ?
Anne Muxel : De tous les scrutins, le scrutin européen est celui qui intéresse le moins les Français en général et les jeunes ne font pas exception à la règle. Ce sont des élections qui peinent à être considérées comme un moyen de se faire entendre et de participer aux décisions politiques. Cette difficulté originelle se double en 2024 d’un contexte assez peu favorable, marqué par la guerre en Ukraine et au Proche-Orient, et par une nationalisation d’enjeux qui font l’objet d’une forte polarisation politique et idéologique.
Malgré tout, si l’on se base sur la vague 5 de l’enquête Ipsos pour le CEVIPOF, Le Monde, la Fondation Jean Jaurès et l’Institut Montaigne, 53 % des 18-24 ans et 54 % des 25-34 ans disent s’intéresser à la politique et au scrutin du 9 juin 2024. C’est un peu en deçà de ce que déclare l’ensemble des Français – 62 % se disent intéressés toutes catégories d’âge confondues – mais c’est loin d’être négligeable pour des élections intermédiaires aussi peu investies par les citoyens.
Que plus de la moitié des jeunes se disent intéressés par les prochaines élections européennes alors que beaucoup de conditions sont réunies pour que ce ne soit pas le cas (en raison notamment d’un déficit de connaissances des institutions européennes et de leur fonctionnement), cela montre qu’ils ne sont pas dépolitisés, contrairement à ce que l’on entend souvent. C’est ce que je rappelle dans la plupart de mes travaux.
Quels sont les ressorts de cette mobilisation pour le scrutin européen du 9 juin 2024 ?
Parmi les 3 jeunes sur 10 qui comptent voter (soit 34 % des 18-25 ans), une partie d’entre eux peut exprimer une préoccupation pour les questions environnementales. La liste EELV fait l’objet d’intentions de vote en nombre plus élevé que dans le reste de la population parmi les primo-votants (16 %). Une autre partie de la jeunesse peut se saisir de ces élections pour s’exprimer sur des enjeux comme l’immigration et le pouvoir d’achat et peut trouver, notamment dans la figure de Jordan Bardella, des réponses à leurs préoccupations.
On ne peut pas considérer la jeunesse comme une entité unique et homogène. Des fractures sociales et politiques la traversent qui produisent des réponses électorales différentes.
Comment les intentions de vote se répartissent-elles ?
La réponse la plus massive est l’abstention. L’autre réponse significative est le choix de la radicalité, un jeune sur deux parmi ceux qui se déplaceront aux urnes envisageant de voter pour les listes aux deux extrêmes de l’échiquier partisan.
D’un côté, La France Insoumise capte 19 % des intentions de vote chez les 18-24 ans et 17 % des intentions de vote des 25-34 ans. C’est nettement plus que dans l’ensemble de l’électorat où LFI et la liste de Manon Aubry stagnent à 8 %. A l’autre bout du spectre, leurs intentions de vote s’alignent sur la population générale. Un tiers des Français (33 %) envisagent de voter pour la liste du Rassemblement national. Ils sont 30 % parmi les 18-24 ans et à 28 % parmi les 25-34 ans.
Enfin, on note une assez vaste dispersion des votes sur le reste des listes, même si Marie Toussaint de la liste Ecologie-Les Verts séduit 16 % des 18-24 ans contre 6 % de l’ensemble des électeurs. Concernant ce dernier vote, on notera que seuls 8 % des 25-34 ans l’envisagent. La liste PS-Place publique de Raphaël Glucksmann fait plutôt moins que dans l’ensemble de la population et enfin la liste de Valérie Hayer, pour la majorité présidentielle, séduit seulement 6 % des 18-24 ans et 9 % des 25-34 ans.
Que dire de l’intérêt que suscite l’extrême droite chez les jeunes électeurs ? De quand date-t-il et ne gagne-t-il pas du terrain ?
Cela fait longtemps que le Rassemblement national dispose d’un socle électoral chez les jeunes. Certes, aux Européennes de 2019, les jeunes avaient davantage voté en faveur des écologistes mais, aux élections européennes de 2014, c’est le Front national qui était arrivé en tête dans ces générations.
En 2002, l’élimination du candidat socialiste Lionel Jospin au premier tour de l’élection présidentielle et la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour avaient suscité une forte mobilisation contre Le Front national. Pas de toute la jeunesse, mais à coup sûr de la jeunesse étudiante dont le rapport à la politique se construisait en fonction de la figure repoussoir que représentait pour elle Jean-Marie Le Pen.
Mobilisation anti Le Pen en 2002 (INA Politique).
Une telle dynamique a aujourd’hui disparu. C’est le résultat de la normalisation et de la dédiabolisation entreprises par Marine Le Pen qui a favorisé l’intégration des jeunes à l’appareil politique du Rassemblement national, que ce soit dans les conseils municipaux, départementaux, régionaux… Jordan Bardella est l’incarnation même de cette stratégie.
La popularité de Jordan Bardella déborde les frontières de la jeunesse la plus démunie, la moins diplômée, la moins dotée économiquement, culturellement et socialement pour toucher d’autres segments : les étudiants, les jeunes de classes moyennes. Ce n’était le cas auparavant.
Peut-on parler d’une spécificité du vote jeune ?
Les choix des jeunes ne font qu’amplifier des mouvements que l’on observe dans la population en général, que ce soit l’abstention ou la dynamique électorale du Rassemblement national que l’on observe à la veille du scrutin européen. Plus que leurs aînés, ils sont peut-être porteurs d’une volonté de favoriser des forces politiques qu’ils n’ont pas encore vues au pouvoir. Le mécontentement de l’ensemble des Français à l’égard des gouvernements de gauche et de droite, la faible popularité du président Macron, les partis traditionnels qui sont à la peine jouent aussi un rôle sur leurs intentions.
Propos recueillis par Aurélie Djavadi. Anne Muxel, Directrice de recherches (CNRS) au Cevipof, Sciences Po