L’heure de la proportionnelle
Chacun en convient : le mode de scrutin majoritaire ne remplit plus son office. Pourquoi ne pas adopter la règle de la proportionnelle ?
Que faire quand le scrutin majoritaire n’est plus capable de fournir une majorité au pays ? Il suffit d’attendre, diront les optimistes – ou les naïfs ? Après la pluie le beau temps : la prochaine fois, dans un an, ou plus tard, le vote des Français désignera un vainqueur. En est-on si sûr ? Rappelés aux urnes l’année prochaine, pourquoi les électeurs changeraient-ils brusquement de comportement ? Et si le RN poursuit sa progression, corrige ses erreurs, se dote d’un encadrement compétent, avec les mêmes idées dangereuses, il peut cette fois l’emporter. Faut-il courir ce risque ?
Il est donc une autre voie, nouvelle en France (elle n’a été expérimentée qu’entre 1986 et 1988), c’est l’instauration d’un scrutin proportionnel. Bien sûr les objections viennent d’elles-mêmes : il n’y aura plus de majorité possible pour un seul parti ou une seule force, d’où un risque d’instabilité chronique. Les directions de partis établiront les listes souverainement, donc on coupera le lien que les députés de circonscription tissent avec leurs électeurs. Ceux-ci voteront pour des partis dont on ne sait s’ils pourront s’entendre, si bien que la coalition qui sortira des tractations parlementaires est imprévisible : une fois l’élection passée, les Français découvriront qui les gouverne, comme dans une pochette surprise.
Tout cela est juste. Mais tous ces défauts, ou presque, sont aussi présents aujourd’hui : coalition imprévisible, poids des directions de partis qui négocient en ce moment dans le secret, sans qu’on sache sur quoi ni sur qui ; gouvernement par nature minoritaire, instabilité probable, etc. En revanche, le vote d’une nouvelle loi électorale (il suffit d’une majorité simple) permettra à chacun de se préparer pour le prochain coup, de négocier des rapprochements, d’envisager des alliances et de les annoncer à l’avance, etc.
Elle aura surtout trois avantages essentiels.
Celui de la justice en premier lieu : l’Assemblée, par définition, reflétera au plus près les aspirations diverses des Français. Plus de majorité introuvable, de république monarchique, de députés godillots votant à la baguette pour les projets du président, etc. Le pouvoir sera à l’Assemblée, soumise le cas échéant à l’arbitrage du président. Est-ce un mauvais système ? C’est celui qui prévaut, en tout cas, dans la plupart des pays d’Europe. Sont-ils plus mal gouvernés que la France ?
Le spectre d’une majorité nationaliste et intolérante sera écarté, selon toutes probabilités : le RN devrait, pour la constituer, recueillir plus de 50 % des voix. Très peu probable… Et en cas d’élection de Marine Le Pen (qui est encore possible), celle-ci devrait par nature composer avec une assemblée où elle ne sera pas majoritaire à elle toute seule. Elle peut même buter sur une coalition hostile que les électeurs auront envoyée à l’assemblée pour équilibrer les pouvoirs.
La gauche réformiste, enfin, sera délivrée de la férule radicale. Plutôt que de passer au premier tour une alliance qui à déporte sur sa gauche et fait la part belle à LFI, elle concourra enfin sous ses couleurs, un peu comme lors de l’élection européenne. Dans cette hypothèse, il y a fort à parier, comme l’a indiqué le score de Raphaël Glucksmann le 9 juin, que les socialistes retrouveront le rôle de pivot qui est traditionnellement le leur. Quitte à former une coalition comprenant des députés LFI, mais à ses propres conditions et non à celles de Mélenchon.
La proportionnelle figure – ou a figuré – au programme de plusieurs partis (LFI, PS, En Marche, RN…). Son adoption est donc possible. Il faudra bien sûr franchir l’obstacle des calculs de court terme, telle ou telle formation jugeant que son intérêt immédiat n’est pas celui-là. Les considérations tactiques l’emportent souvent, on le sait, sur les visions stratégiques. Mais est-ce l’intérêt du pays ? La chose, en tout cas, mérite débat.