Macron et la mémoire ambiguë de l’esclavage
La célébration de l’abolition de l’esclavage n’échappe pas aux erreurs symétriques commises par la mémoire collective au détriment de l’histoire
Pour célébrer le 175e anniversaire de l’abolition de l’esclavage par la République française, Emmanuel Macron a rendu hommage ce jeudi à Toussaint Louverture, héros haïtien de l’émancipation. Chez les commentateurs, l’événement a été couvert par le bruit des casseroles CGT, plus ou moins tenues à distance de la cérémonie. Erreur : cet effort de mémoire méritait plus grande attention.
Il marque une étape importante dans la représentation que la France se fait de l’esclavage et de son abolition. Il donne aussi l’occasion de rappeler quelques vérités utiles, loin des clichés divers répandus de tous côtés à des fins de propagande.
Pendant longtemps, la République s’est contentée de commémorer l’abolition, sans faire grand effort, à l’école ou ailleurs, pour rappeler ce qu’étaient les conditions inhumaines d’un système hérité de l’Ancien Régime que la France a mis plus d’un demi-siècle à jeter bas, bien après l’Angleterre, après avoir réprimé dans le sang les innombrables révoltes des esclaves.
Cette auto-célébration est justement corrigée par le geste du président : avant d’être ratifiée par la métropole, l’émancipation des esclaves a d’abord été le résultat de leur combat. C’est en constatant la force de ces révoltes que deux assemblées, celle de 1794, puis celle de 1848 (l’esclavage fut entretemps rétabli par Bonaparte en 1802), se sont ralliées aux arguments des abolitionnistes, qui n’avaient pu jusque-là se faire entendre.
Ainsi, le rôle historique de la générosité républicaine, indéniable pour changer la loi, doit être remis à sa juste place. Comme le précisent souvent les élus des départements des Antilles, avant d’être libérés, les esclaves ont commencé par se libérer eux-mêmes.
Juste hommage, donc, à Toussaint Louverture, général impétueux et homme politique habile, traîtreusement arrêté par les Français sur ordre de Bonaparte sous couvert de négociations de paix et condamné à mourir de froid et de mauvais traitements au fort de Joux. Il faut également rappeler, pour mesurer l’ambiguïté républicaine, que l’abolition donna lieu à indemnisation.
Non en faveur des esclaves soumis à un traitement justement défini aujourd’hui comme un crime contre l’humanité (depuis la « loi Taubira ») mais au profit des colons des Antilles dont on violait le droit de propriété ! Le tout sur fond d’expansion coloniale organisée par tous les gouvernements ultérieurs…
Certains déduisent de ces événements et de quelques autres la culpabilité principale de l’Occident dans le développement du système esclavagiste et dans son maintien pendant de longs siècles. C’est le mythe symétrique, destiné par la vulgate « décoloniale » à asseoir l’idée d’une « oppression blanche » exclusive sur les pays du sud, dont il faudrait aujourd’hui expier dans les seuls pays occidentaux.
Or les historiens rappellent qu’il y eut dans l’histoire moderne non pas une traite des esclaves, mais trois : la traite occidentale, de la Renaissance au 19e siècle, organisée et meurtrière, la traite « intra-africaine », traditionnelle et non moins indigne, et enfin la traite musulmane, peut-être moins intense, mais qui s’est étalée du 7e au 20e siècle, et fut tout aussi coûteuse en vies humaines.
Ainsi l’esclavage n’est pas le fruit de l’unique avidité occidentale. Il est le produit d’un système plus large, défini par l’ignorance ou le mépris du droit des gens au profit du « droit de conquête », qui n’est qu’un hypocrite habillage de la force brute.
Plutôt que de déboulonner les statues, pratiquer la novlangue et réécrire l’histoire, mieux vaut lutter pied à pied pour les droits humains dans le monde. Aujourd’hui comme hier, ce sont ces valeurs qui émancipent, universelles et intemporelles, bien plus que la stigmatisation unilatérale des crimes de l’Occident.