L’homme aux mille visages

par Thierry Gandillot |  publié le 19/04/2024

 L’extraordinaire histoire de « Ricardo », faux héros du Bataclan, faux redresseur de torts, faux médecin, mais vrai escroc amoureux…

D.R Grasset

Appelons-le « Ricardo », mais ç’aurait pu être, Daniel, Richard ou Alexandre. Il est, selon les cas, portugais, argentin ou brésilien. Au jeu des métiers, il est médecin urgentiste, ingénieur, flic ou ingénieur. Des badges, des cartes d’identité, des passeports, des adresses mail, il en a plusieurs, beaucoup, qu’il dégaine à la demande. Il voyage sans cesse, s’absente souvent,  appelé par ses « missions » ou par des « drames familiaux », en Argentine ou au Brésil. Pratique quand on mène plusieurs vies avec différentes femmes en France ou en Pologne. 

Des « histoires », des anecdotes, il en produit à la demande. Un jour, il sauve des vies dans la nuit du Bataclan ; une autre fois, vêtu d’un uniforme de police, il joue les redresseurs de torts. Quand il est là, pour quelques jours, il est tout miel, charmant, drôle, passionnant. Il emmène l’élue du moment pour des balades dans un Paris de carte postale, avec une prédilection pour le Sacré-Cœur et Montmartre.

Sonia Kronlund, journaliste et productrice, réunit, une communauté d’auditeurs fervents dans son Émission « Les pieds sur terre ». On y découvre, depuis vingt années, des éclats de vie de femmes et d’hommes dont le quotidien, parfois banal, a été bouleversé par un fait singulier, inattendu ou imprévisible. Parmi des milliers de témoignages,  Sonia Kronlund aurait pu choisir d’en développer plusieurs. Mais elle en a gardé un, qui traite de la manipulation amoureuse, peut-être par ce qu’il fait écho à quelque chose qu’elle a personnellement éprouvé.  

 Pendant cinq ans, Sonia Kronlund va traquer « Ricardo ». Ce n’est pas une mince affaire. Une carte sur un mur, couverte d’épingles et de fil de laine tendus sur deux continents, retrace les périples et les identités de cet infatigable caméléon. On croise, au cours de cette enquête à haut risque, un détective privé polonais qui s’identifie à John Wayne, mais dont les planques à Cracovie font plus penser à celles de Gene Hackman dans « Conversation secrète » de Coppola ; ou un duo de policières brésiliennes, à l’humour décapant, pas peu fières d’être les premières à avoir chopé ce petit délinquant de « Ricardo » et de l’avoir fait condamner avant qu’il ne trouve plus prudent de changer de continent.

Soucieuse de respecter les demandes de ces femmes flouées qui ont accepté de témoigner pour elle, Sonia Kronlund a fait dans certains cas interpréter leur rôle par une comédienne. Consciente des risques, elle commence, sur les conseils de son avocat,  par masquer le visage de ce piégeur qu’elle entend piéger avant de changer d’avis. On découvrira donc dans les scènes finales le vrai visage de Ricardo, installé en Pologne où il ne peut s’empêcher de jouer un dernier rôle devant la caméra de la journaliste. Un documentaire à la fois drôle et tragique à voir absolument.

L’homme aux mille visages, un livre chez Grasset et un documentaire en salles.

Thierry Gandillot

Chroniqueur cinéma culture