L’immigration, idiot !
Les causes de l’élection de Donald Trump sont nombreuses. Mais à force de les énumérer sans les hiérarchiser, on finit par oublier l’essentiel.
Comme le rappelait hier Bernard Attali (*), Bill Clinton avait gagné en son temps une présidentielle en faisant afficher dans son QG de campagne le slogan suivant : « It’s the economy, idiot ! », « C’est l’économie, idiot ! ». Il entendait par là que les démocrates devaient fonder pour l’essentiel leur discours sur les questions économiques et sociales, ce qui l’a conduit à la Maison-Blanche.
Donald Trump n’a pas eu besoin d’afficher son slogan pour s’en souvenir : il a usé, pour sa deuxième victoire – comme lors de la première en 2016 – d’un thème essentiel, premier, obsessionnel, qui est chez lui une seconde nature : la dénonciation de l’immigration. La première fois, il s’agissait de construire un mur qui fermerait à double tour la frontière sud. Cette fois, il a préféré accentuer encore sa rhétorique en accusant les immigrés venus de la même frontière mexicaine avec des arguments ouvertement et ignoblement racistes : ils mangent des chats et des chiens, ils sont génétiquement dangereux, c’est une vaste armée d’assassins, ils corrompent le sang de l’Amérique, etc. Or, à la consternation de tous les tenants d’une démocratie respectueuse des droits, il a été entendu. Élu triomphalement, il projette, comme il l’a promis, d’expulser hors du pays des millions de ces immigrés qui lui ont servi d’épouvantail électoral.
On pond des tonnes d’études, de rapports, de livres, sur l’explication de la montée des populistes. Pour être franc, c’est un travail à la fois respectable et largement superfétatoire. Il suffit d’écouter les populistes eux-mêmes. Au cœur leur discours nationaliste sommaire, il y a toujours, in fine, le thème de l’immigration. C’est lui qui a permis à Nigel Farage de faire approuver le Brexit, c’est lui qui a mis au pouvoir Giorgia Meloni en Italie, c’est lui qui est à la base du régime de Viktor Orbán en Hongrie, c’est lui qui dope les scores des populistes dans l’Europe entière, c’est lui, enfin, qui explique, plus que tout autre, la montée continue du Rassemblement national en France. Quand un parti populiste approche d’une échéance électorale, ou quand il se trouve en difficulté, c’est toujours l’immigration qui lui sert de sésame, ou de corde de rappel, amalgamée selon les moments à la délinquance, au trafic de drogue, à l’islamisme, à la violence contre les femmes, à la peur identitaire ou au spectre du « grand remplacement ».
Tout cela est fantasmatique pour l’essentiel, bien sûr. Sauf le nombre : telle est la réalité désagréable que les progressistes refusent de regarder en face. Non pour se mettre à l’unisson de la rhétorique de l’extrême-droite, bien entendu. Mais pour poser sur la situation politique un diagnostic lucide. C’est un fait que les États-Unis, pourtant constitués historiquement d’immigrés, vivent désormais fort mal leur situation migratoire. Un seul chiffre : selon une étude de la Fondation Jean Jaurès, ils ont connu en 2022 une immigration record. Au total, quelque 12% des résidents américains sont nés hors de États-Unis, soit 40 millions, auxquels s’ajoutent, toujours selon la même étude, environ 11 millions de sans-papiers. En transformant ce phénomène démographique en conte horrifique, Trump a été élu.
La solution ? Rien n’est simple, sachant que l’immigration est nécessaire à l’économie et qu’il est hors de question pour les progressistes de s’affranchir des principes mentionnés dans toutes les chartes internationales sur la question. Mais à force d’éviter le sujet ou de s’en tenir à des bonnes paroles, au lieu de formuler une politique cohérente et crédible, on ouvre un boulevard aux démagogues.
(*) voir l’article sur LeJournal.info