L’inexorable ascension de Bruno Retailleau

par Valérie Lecasble |  publié le 01/11/2024

Il a surgi à droite parmi les personnalités préférées des Français car il s’est approprié les thèmes clés de la sécurité et surtout de l’immigration. Pour contrer l’extrême-droite, comme il l’assure, ou pour propager les idées lepénistes ?

Le ministre français de l'Intérieur, Bruno Retailleau, assiste à la cérémonie de remise des diplômes à l'Académie nationale de police de Toulouse, le 25 octobre 2024. (Photo Valentine CHAPUIS / AFP)

Au départ, il s’agissait d’un triumvirat constitué d’Éric Ciotti, Bruno Retailleau et Olivier Marleix. Les trois présidents du parti Les Républicains et de leurs groupes au Sénat et à l’Assemblée Nationale, avaient ferraillé ensemble lors de la réforme des retraites puis surtout lors de la loi sur l’immigration, pour obtenir un durcissement des textes portés par le gouvernement. Ils s’affichaient alors comme les fers de lance de l’opposition de droite à Emmanuel Macron, ceux-là mêmes que le Président de la République a échoué pendant deux ans à attirer dans le giron de sa majorité relative. Le temps est venu de la clarification avait justifié Emmanuel Macron, en annonçant le 9 juin la dissolution, sa façon à lui d’espérer provoquer grâce aux élections législatives, un accord politique enfin majoritaire avec la droite LR.

Rien ne s’est passé comme il l’avait prévu. Ciotti parti rejoindre ses amis du Rassemblement National et Olivier Marleix replié sur sa circonscription de Dreux après la nomination de Laurent Wauquiez à la tête des députés LR, le troisième larron, Bruno Retailleau réussit à s’imposer comme ministre de l’Intérieur, à la faveur de la nomination de son ami Michel Barnier à Matignon. A la surprise générale, le couple Barnier-Retailleau a conquis les rênes du pouvoir.

Seul à récupérer le bénéfice de la droitisation de la vie politique construite pendant plusieurs années par le triumvirat, le sénateur de Vendée tient sa revanche. A peine nommé place Beauvau et alors que Michel Barnier a donné instruction à ses ministres de ne pas communiquer, il multiplie sur les plateaux de télévision les interventions plus droitières les unes que les autres dont celle devenue célèbre « de l’ordre, de l’ordre et encore de l’ordre », se forgeant ainsi la stature d’un Premier ministre bis, avant même que Michel Barnier n’ait prononcé son discours de politique générale.

Depuis, il ne rate pas une occasion pour commenter les faits divers les plus violents avec une prédilection pour ceux qui découlent du trafic de drogue. Ainsi, décrit-il longuement sur BFMTV le 1 er novembre la rixe survenue la veille au soir à Poitiers. Un adolescent de 15 ans a reçu une balle en pleine tête. Quatre autres, dont deux de seize ans ont été blessés par balles. Il dramatise, prend un malin plaisir à exagérer les chiffres, évoquant « entre 400 et 600 personnes impliquées », équipées « de toutes sortes d’armes », là où les sources policières en ont dénombré dix fois moins. « Nous sommes à un point de bascule », assène-t-il d’un ton destiné à soulever l’inquiétude dans l’opinion.

C’est que Bruno Retailleau a carte blanche pour tenir la ligne dure du gouvernement sur la sécurité et la lutte contre l’immigration. Il a même obtenu d’Emmanuel Macron sa signature sur les deux nominations clés qu’il défendait, celle du général Hubert Bonneau pour être directeur général de la gendarmerie nationale et de Louis Laugier pour prendre la tête de la police nationale. Malgré l’opposition de Gérald Darmanin qui soutenait ses propres candidats, il a obtenu gain de cause lors d’un tête-à-tête avec le président de la République.

Bruno Retailleau n’hésite pas à s’exposer en première ligne. Lors du projet de loi sur l’immigration porté par Gérald Darmanin il avait travaillé vigoureusement pour concevoir la plupart des articles qui seront rajoutés à la loi initiale. Frustré lorsqu’ils sont retoqués par le Conseil Constitutionnel, il promet désormais une nouvelle loi pour le mois de janvier 2025. Ses points durs sont la préférence nationale pour le versement des allocations sociales et familiales, l’abolition du droit du sol, la restriction du regroupement familial, ou encore la transformation pour les étrangers en situation irrégulière de l’Aide médicale d’état (AME) en une forme plus resserrée, calquée sur l’Aide médicale d’urgence (AMU).
Sur ce dernier point, jugé être un cavalier par le Conseil Constitutionnel, il a trouvé la parade en prévoyant d’« adapter » l’AME par amendements dès la partie Sécurité sociale du projet de loi de Finances aujourd’hui en discussion à l’Assemblée Nationale, ceci grâce à un gel de ses fonds. « Peut-on réclamer des efforts aux Français qu’on ne demanderait pas aux autres ? » s’indigne le sénateur de Vendée. Il sait que la réforme est controversée : Elisabeth Borne avait fait du maintien de l’AME une ligne rouge, et la ministre Modem de la Santé Geneviève Darrieussecq a rappelé il y a quelques jours que « l’AME est un sujet de salubrité publique ».

Bruno Retailleau s’en moque : « Ma politique est de dissuader l’immigration illégale », assène-t-il. Ainsi a-t-il envoyé une circulaire aux préfets leur réclamant « une complète mobilisation pour obtenir des résultats ». Leur mission est, dit-il, d’« amplifier » et de « systématiser » les mesures d’éloignement visant les étrangers susceptibles de menacer l’ordre public.

Membre de la délégation qui a accompagné Emmanuel Macron au Maroc, le ministre de l’Intérieur en a profité pour se rapprocher de son homologue marocain afin de l’enjoindre d’« accélérer les procédures de retour et d’augmenter le nombre de laisser-passer consulaires » nécessaires à l’exécution des OQTF. Tous ces thèmes ont l’heur de plaire au Rassemblement National, un atout politique précieux puisque le parti de Marine Le Pen détient entre ses mains la bombe de la censure qui peut à tout moment faire sauter le gouvernement.

Grâce à ce savant cocktail de médiatisation, de travail et de dramatisation, Bruno Retailleau rencontre les aspirations de l’opinion publique. Le voilà propulsé en quelques semaines dans le peloton de tête des personnalités de droite préférées des Français, aux côtés de Michel Barnier, Edouard Philippe et Gabriel Attal. Cet inconnu qui a opéré dans l’ombre tout au long de sa vie politique, prend enfin la lumière. Bosseur hyperactif, il ne laissera pas passer sa chance, décidé à incarner la droite dure catholique traditionnelle et à prouver qu’il est le « sauveur » capable d’éradiquer le double fléau de l’immigration et de la délinquance, des caractéristiques liées selon lui tant il est convaincu qu’il est impossible en France aux différentes communautés de coexister. Ce qui lui permet de croire – et de faire croire – qu’en tout immigré sommeille un délinquant.

« Il vient de loin. C’est un dur. Il a fait ses armes auprès de Philippe de Villers puis il a tué le père lorsqu’il lui a ravi la présidence de la Vendée », commente une connaissance de longue date qui lui prédit un parcours à la Nicolas Sarkozy. Bruno Retailleau, qui a refusé de suivre Eric Ciotti quand il a fait allégeance au RN, réussira-t-il son pari de supplanter le parti d’extrême-droite auprès des Français qui réclament plus d’ordre et d’autorité ? Pour l’instant, sa cote de popularité s’envole. Mais demain ? A force de marteler ses convictions qui n’ont rien à envier à celles du RN, il se pourrait au contraire qu’il les banalise jusqu’à préparer le terrain à l’arrivée prochaine de la véritable extrême-droite au pouvoir.

Valérie Lecasble

Editorialiste politique