LIP toujours à l’heure
Charles Piaget, figure emblématique de la lutte autogestionnaire des « LIP » est décédé. Son combat nous rappelle la nécessité de donner aux salariés du pouvoir au sommet des entreprises. Par Yves Barou, président du cercle des DRH
Il y a des hommes ou des femmes qui symbolisent à eux tout seuls, un combat, une idée. Charles Piaget, mort le 4 novembre a 95 ans était de ceux-là. Il incarnait la lutte des salariés de l’entreprise d’horlogerie LIP, devenue « l’affaire LIP », en raison de ses implications sociales et politiques. Le 12 juin 1973, la société est menacée de dépôt de bilan. Elle a été créée en 1897. Elle emploie plus de 1000 techniciens et cadres. Charles Piaget, responsable syndical CFDT, membre du PSU, dit « non ».
Le 18, les salariés occupent l’usine. Ils remettent la production en route. « C’est possible , on fabrique , on vend, on se paie. » Les « Lip » ont un projet, prendre en main le destin de leur entreprise eux-mêmes. Pour se financer, ils vendent au prix coutant un stock de 25 000 montres sur lesquelles ils ont mis la main. Le 29 septembre, grosse manifestation, 100 000 personnes dans les rues de la capitale franc-comtoise, en tête, Michel Rocard. En janvier 1974, Claude Neusschwander cadre de Publicis, membre du PSU, prend la direction.
En novembre 1977, les coopératives LIP sont créées. Finalement l’expérience échoue face à l’hostilité des gouvernements de Georges Pompidou, puis de Valéry Giscard d’Estaing. Le coup de grâce est donné lorsque la régie Renault annule sa commande de pendulettes de tableaux de bord.
LIP reste une référence pour les luttes pour l’emploi, alors même qu’elle se déclenche avant le premier choc pétrolier de 1974, à une période sans chômage.
LIP, c’est aussi la mise en avant de l’égalité hommes-femmes avec l’émergence de syndicalistes féministes autour de « LIP au féminin ». La réduction du temps de travail devient une revendication récurrente.
LIP, c’est aussi un combat, sur le terrain, pragmatique, qui résonne fort dans les débats post – soixante-huitards. Il annonce les incohérences du programme commun de la gauche, abandonné une fois le pouvoir acquis. Il précède l’ascension du syndicalisme de propositions de la CFDT . Il met à mal les radicalités d’extrême gauche. Alain Geismar et Benny Lévy dissoudront la Gauche prolétarienne. Les « Lip » avaient peut-être montré la voie de la vraie révolution.
LIP, c’est surtout la tentative de faire vivre, par la prise en mains de l’outil de travail, l’autogestion, une entreprise, même si la question du contrôle des salariés restait posée.
Malgré l’échec de sa coopérative, LIP annonce toutes les innovations de l’Économie sociale et solidaire. Aujourd’hui, 10 % du PIB est l’œuvre de coopératives, mutuelles et associations. Les seules coopératives emploient 80 000 salariés. Une réalité, très minoritaire, mais significative, un « poil à gratter », qui interpelle patronat et syndicats sur la question du pouvoir et de la gouvernance. Un sujet crucial pour le modèle européen de l’entreprise. Comment rapprocher le modèle allemand de « codétermination » et la présence, à parité ,de salariés dans les conseils d’administration, et le modèle français de simple consultation ?
Redonner du pouvoir sur leur outil de travail, aux salariés, ce serait, 50 ans après, répondre pour une part au message des LIP.
Yves Barou, DRH