Bonnes feuilles: « Tais-toi, je cause »
Jamais l’humanité n’a autant pris la parole. Tout le monde s’exprime. Mais est-ce qu’on s’écoute ?
Il faut voir comme on se parle. De plus en plus mal. La parole est souvent vide de sens et pleine de violence. Elle est dégradée. On l’éprouve chaque jour, à l’école, au travail, dans la rue, dans les médias, sur internet. On confond clash et dialogue. On parle de plus en plus, on se parle de moins en moins. L’autre n’existe plus.
Comment retrouver ou fonder une parole juste et responsable ? Comment dépasser la perte d’attention et la culture de l’humiliation ? Comment apprendre à surmonter la violence, à maîtriser sa parole, à se relier, à écouter ?
En réponse, ce livre pose les fondements d’un humanisme de la parole. Il propose l’art comme solution vitale à une crise cruciale. Il définit les arts de la parole comme des arts de construction collective capables de réconcilier la société et de sublimer notre humanité.
par Gérald GARUTTI
Vient de paraître aux Editions Actes Sud
EXTRAIT
La parole est un sport de combat Quand la parole démène le monde Nous vivons dans un monde de bruit et de fureur. Un monde de TIC1 , de clics et de claques. Un monde de rumeurs, de tweets, de bashings et de clashs. D’infox. De swipes, de fakes. De battles, de lol et de likes. Un monde digital où l’on montre du doigt. Où l’on met à l’index. Où l’on tranche du pouce. Où l’on cloue au pilori planétaire. Un monde de réseaux, où l’on tue pour un mot. Jamais l’Humanité n’a autant pris la parole.
Phénomène inédit dans l’Histoire. À maints égards, opportunité inouïe. Tout le monde s’exprime. S’étale. Se lâche. Se fâche. Se casse. Partout, ça parle. Mais est-ce que ça s’écoute ? Est-ce que, pour autant, on se parle ? Qu’est-ce qui se joue ? Et qu’est-ce qui se dit ? Désormais, chacun peut donner de la voix. Prendre parti. Publier son avis. Proclamer à hauts cris. En un sens, c’est une chance. Un sens – oui, mais lequel ? 14 Tout dépend. Qui parle. Pour dire quoi. Au nom de quoi. À qui. Comment. Pour quoi. Il faut voir comme on se parle – l’humanité en moins. De ce pouvoir extrême, quels usages faisons-nous ? De façon écrasante, de nos jours, l’énonciation dégénère en dénonciation. En stigmatisation. En ségrégation. En destruction. Et qu’ils visent ou non à détruire, pour beaucoup les mots ne veulent plus rien dire. Gage d’inconscience, vide de sens et pleine de violence – telle s’impose aujourd’hui, dans sa version massive, la parole. Inflation verbale. Dévaluation du discours.
Démonétisation des messages. Discrédit des vecteurs. Détérioration de l’échange. Dépréciation d’autrui. Telle est, à présent, la tendance. Le flux de paroles charrie le déferlement des pulsions. Le grand parloir vire au vaste défouloir. Logorrhée rime avec vacuité. Vanité. Cécité. Radicalité. Irresponsabilité. Dans nombre de ses modalités actuelles, en mauvaise part, à mesure qu’elle prolifère, la parole se dégrade. Sa profération induit trivialisation, instrumentalisation, division, humiliation. Bien souvent, elle avilit l’individu. Elle annihile le sens. Elle galvaude le locuteur. Elle dénigre l’autre. Elle déchire la société. Valoriser la parole essentielle Nous appelons ici à la valorisation de la parole. Pour que l’explosion de l’expression marque la 15 consécration de notre humanité. Non son atomisation. Qui sommes-nous pour le dire ? Des artistes de la parole. Des artisans du verbe en action. Des ouvriers du lien humain. Des passeurs d’histoires. Des forgerons du sens. Des ouvreurs de la présence. Nous sommes les porte-parole d’arts trois fois millénaires. De ces arts qui, depuis l’enfance du monde, forment le cœur de l’humanité. Qui, au fil des âges, ont œuvré à la déployer. Qui, aujourd’hui encore, nous donnent à toutes et à tous l’opportunité de nous transcender. Plus que jamais, nous considérons la parole comme vitale – cruciale pour la vie humaine et vivante par principe. Saisie dans toute sa substance, elle exprime notre quintessence. Essentielle et actuelle, elle cristallise le sens d’un propos, l’enjeu d’un discours, la force d’une pensée. Inspirée et adressée, elle manifeste le pouvoir du verbe, la résonance des mots, la présence du texte. Incarnée et partagée, elle donne voix au chapitre, vie à la langue, corps à l’oralité. Polyvalente et multifonctionnelle, elle embrasse toutes nos dimensions. Combat pour la parole De la parole, nous refusons la réduction à ses versions éruptive et délatrice, cancanière et moutonnière, babillarde et concassée. À sa caricature évidée, débitée en discours indigents. En slogans piteux. En messages dérisoires. En 16 toutes petites phrases. En vains éléments de langage. À sa triste figuration par les trois mousquetaires des temps modernes, Infox, Pathos, Clashos et Boxoffice. Nous ne laisserons pas le dernier mot à l’image sous prétexte qu’elle prétend tout dire. Nous savons, nous qui vous parlons, que le visible n’épuise pas tout. Que l’essentiel est invisible pour les yeux. Que les enfants se font aussi par l’oreille2 . Au commencement était le verbe, à la fin s’étale le verbiage. Cette globalisation de la parole, nous n’avons aucune intention de la laisser se résumer à sa dégradation. À sa standardisation et à son uniformisation. À sa marchandisation et à sa massification. À son aliénation et à son arriération. À sa pulvérisation en particules rudimentaires – en graines de néant. Jamais nous ne limiterons toutes nos pensées à un cliché. Deux posts. Trois secondes. Quatre émoticônes. Deux cent quatre-vingts caractères. Jamais nous ne reconnaîtrons au seul contenant la toute-puissance de dicter tout contenu. Au médium le pouvoir absolu de n’y voir rien que du flux. Nous rejetons la culture du mot jetable – aussitôt balancé, aussitôt évacué. Par-delà le déluge des vains propos d’emblée engloutis dans le fleuve de l’oubli, dans la longue patience des travaux et des jours, nous nous efforçons de bâtir, à travers notre ouvrage, “un trésor pour 17 toujours3 ” – cet horizon que se trace l’historien grec Thucydide. Le babil passe, la parole demeure. C’est elle qui nous tient à cœur. Elle qui nous tient debout. Qui sous-tend le nous. Nous relie au tout. À la cacophonie universelle nous préférons la résonance de l’essentiel. À l’empire du tout-àl’ego, la passion de l’interaction. Au brouhaha des opinions, le bruissement de la langue. Au vide des formules, la charge du sens. À l’inanité du zapping, l’intensité de l’attention. À l’inconséquence des discours, la responsabilité de l’énonciation. Au retranchement derrière l’écran, la communion dans la présence. À l’impunité dans l’immatériel, l’incarnation de l’expérience. À la complaisance dans la violence, la conscience de l’adresse. Au rejet de la différence, l’accueil de l’altérité. Au culte de soi, la culture de l’échange. Au simulacre de communauté, le partage d’humanité. Nous fondons notre travail, notre action, notre raison d’être – notre existence même – sur la parole. Aujourd’hui, nous constatons sa dégénérescence. Des ravages qu’elle provoque, nous prenons toute la mesure – en pleine connaissance de cause. Voilà pourquoi, ici même, nous entendons donner à la parole sa valeur capitale dans la société actuelle. En questionnant son rôle. En éclairant ses fonctions. En affirmant sa place. En attestant sa vocation.
La parole est un sport de combat Quand la parole démène le monde Nous vivons dans un monde de bruit et de fureur. Un monde de TIC1 , de clics et de claques. Un monde de rumeurs, de tweets, de bashings et de clashs. D’infox. De swipes, de fakes. De battles, de lol et de likes. Un monde digital où l’on montre du doigt. Où l’on met à l’index. Où l’on tranche du pouce. Où l’on cloue au pilori planétaire. Un monde de réseaux, où l’on tue pour un mot. Jamais l’Humanité n’a autant pris la parole. Phénomène inédit dans l’Histoire. À maints égards, opportunité inouïe. Tout le monde s’exprime. S’étale. Se lâche. Se fâche. Se casse. Partout, ça parle. Mais est-ce que ça s’écoute ? Est-ce que, pour autant, on se parle ? Qu’est-ce qui se joue ? Et qu’est-ce qui se dit ? Désormais, chacun peut donner de la voix. Prendre parti. Publier son avis. Proclamer à hauts cris. En un sens, c’est une chance. Un sens – oui, mais lequel ? 14 Tout dépend. Qui parle. Pour dire quoi. Au nom de quoi. À qui. Comment. Pour quoi. Il faut voir comme on se parle – l’humanité en moins. De ce pouvoir extrême, quels usages faisons-nous ? De façon écrasante, de nos jours, l’énonciation dégénère en dénonciation. En stigmatisation. En ségrégation. En destruction. Et qu’ils visent ou non à détruire, pour beaucoup les mots ne veulent plus rien dire. Gage d’inconscience, vide de sens et pleine de violence – telle s’impose aujourd’hui, dans sa version massive, la parole. Inflation verbale. Dévaluation du discours. Démonétisation des messages. Discrédit des vecteurs. Détérioration de l’échange. Dépréciation d’autrui. Telle est, à présent, la tendance. Le flux de paroles charrie le déferlement des pulsions. Le grand parloir vire au vaste défouloir. Logorrhée rime avec vacuité. Vanité. Cécité. Radicalité. Irresponsabilité. Dans nombre de ses modalités actuelles, en mauvaise part, à mesure qu’elle prolifère, la parole se dégrade. Sa profération induit trivialisation, instrumentalisation, division, humiliation. Bien souvent, elle avilit l’individu. Elle annihile le sens. Elle galvaude le locuteur. Elle dénigre l’autre. Elle déchire la société. Valoriser la parole essentielle Nous appelons ici à la valorisation de la parole. Pour que l’explosion de l’expression marque la 15 consécration de notre humanité. Non son atomisation. Qui sommes-nous pour le dire ? Des artistes de la parole. Des artisans du verbe en action. Des ouvriers du lien humain. Des passeurs d’histoires. Des forgerons du sens. Des ouvreurs de la présence. Nous sommes les porte-parole d’arts trois fois millénaires. De ces arts qui, depuis l’enfance du monde, forment le cœur de l’humanité. Qui, au fil des âges, ont œuvré à la déployer. Qui, aujourd’hui encore, nous donnent à toutes et à tous l’opportunité de nous transcender. Plus que jamais, nous considérons la parole comme vitale – cruciale pour la vie humaine et vivante par principe. Saisie dans toute sa substance, elle exprime notre quintessence. Essentielle et actuelle, elle cristallise le sens d’un propos, l’enjeu d’un discours, la force d’une pensée. Inspirée et adressée, elle manifeste le pouvoir du verbe, la résonance des mots, la présence du texte. Incarnée et partagée, elle donne voix au chapitre, vie à la langue, corps à l’oralité. Polyvalente et multifonctionnelle, elle embrasse toutes nos dimensions. Combat pour la parole De la parole, nous refusons la réduction à ses versions éruptive et délatrice, cancanière et moutonnière, babillarde et concassée. À sa caricature évidée, débitée en discours indigents. En slogans piteux. En messages dérisoires. En 16 toutes petites phrases. En vains éléments de langage. À sa triste figuration par les trois mousquetaires des temps modernes, Infox, Pathos, Clashos et Boxoffice. Nous ne laisserons pas le dernier mot à l’image sous prétexte qu’elle prétend tout dire. Nous savons, nous qui vous parlons, que le visible n’épuise pas tout. Que l’essentiel est invisible pour les yeux. Que les enfants se font aussi par l’oreille2 . Au commencement était le verbe, à la fin s’étale le verbiage. Cette globalisation de la parole, nous n’avons aucune intention de la laisser se résumer à sa dégradation. À sa standardisation et à son uniformisation. À sa marchandisation et à sa massification. À son aliénation et à son arriération. À sa pulvérisation en particules rudimentaires – en graines de néant. Jamais nous ne limiterons toutes nos pensées à un cliché. Deux posts. Trois secondes. Quatre émoticônes. Deux cent quatre-vingts caractères. Jamais nous ne reconnaîtrons au seul contenant la toute-puissance de dicter tout contenu. Au médium le pouvoir absolu de n’y voir rien que du flux. Nous rejetons la culture du mot jetable – aussitôt balancé, aussitôt évacué. Par-delà le déluge des vains propos d’emblée engloutis dans le fleuve de l’oubli, dans la longue patience des travaux et des jours, nous nous efforçons de bâtir, à travers notre ouvrage, “un trésor pour 17 toujours3 ” – cet horizon que se trace l’historien grec Thucydide. Le babil passe, la parole demeure. C’est elle qui nous tient à cœur. Elle qui nous tient debout. Qui sous-tend le nous. Nous relie au tout. À la cacophonie universelle nous préférons la résonance de l’essentiel. À l’empire du tout-àl’ego, la passion de l’interaction. Au brouhaha des opinions, le bruissement de la langue. Au vide des formules, la charge du sens. À l’inanité du zapping, l’intensité de l’attention. À l’inconséquence des discours, la responsabilité de l’énonciation. Au retranchement derrière l’écran, la communion dans la présence. À l’impunité dans l’immatériel, l’incarnation de l’expérience. À la complaisance dans la violence, la conscience de l’adresse. Au rejet de la différence, l’accueil de l’altérité. Au culte de soi, la culture de l’échange. Au simulacre de communauté, le partage d’humanité. Nous fondons notre travail, notre action, notre raison d’être – notre existence même – sur la parole. Aujourd’hui, nous constatons sa dégénérescence. Des ravages qu’elle provoque, nous prenons toute la mesure – en pleine connaissance de cause. Voilà pourquoi, ici même, nous entendons donner à la parole sa valeur capitale dans la société actuelle. En questionnant son rôle. En éclairant ses fonctions. En affirmant sa place. En attestant sa vocation.
La parole est un sport de combat Quand la parole démène le monde Nous vivons dans un monde de bruit et de fureur. Un monde de TIC1 , de clics et de claques. Un monde de rumeurs, de tweets, de bashings et de clashs. D’infox. De swipes, de fakes. De battles, de lol et de likes. Un monde digital où l’on montre du doigt. Où l’on met à l’index. Où l’on tranche du pouce. Où l’on cloue au pilori planétaire. Un monde de réseaux, où l’on tue pour un mot. Jamais l’Humanité n’a autant pris la parole. Phénomène inédit dans l’Histoire. À maints égards, opportunité inouïe. Tout le monde s’exprime. S’étale. Se lâche. Se fâche. Se casse. Partout, ça parle. Mais est-ce que ça s’écoute ? Est-ce que, pour autant, on se parle ? Qu’est-ce qui se joue ? Et qu’est-ce qui se dit ? Désormais, chacun peut donner de la voix. Prendre parti. Publier son avis. Proclamer à hauts cris. En un sens, c’est une chance. Un sens – oui, mais lequel ? 14 Tout dépend. Qui parle. Pour dire quoi. Au nom de quoi. À qui. Comment. Pour quoi. Il faut voir comme on se parle – l’humanité en moins. De ce pouvoir extrême, quels usages faisons-nous ? De façon écrasante, de nos jours, l’énonciation dégénère en dénonciation. En stigmatisation. En ségrégation. En destruction. Et qu’ils visent ou non à détruire, pour beaucoup les mots ne veulent plus rien dire. Gage d’inconscience, vide de sens et pleine de violence – telle s’impose aujourd’hui, dans sa version massive, la parole. Inflation verbale. Dévaluation du discours. Démonétisation des messages. Discrédit des vecteurs. Détérioration de l’échange. Dépréciation d’autrui. Telle est, à présent, la tendance. Le flux de paroles charrie le déferlement des pulsions. Le grand parloir vire au vaste défouloir. Logorrhée rime avec vacuité. Vanité. Cécité. Radicalité. Irresponsabilité. Dans nombre de ses modalités actuelles, en mauvaise part, à mesure qu’elle prolifère, la parole se dégrade. Sa profération induit trivialisation, instrumentalisation, division, humiliation. Bien souvent, elle avilit l’individu. Elle annihile le sens. Elle galvaude le locuteur. Elle dénigre l’autre. Elle déchire la société. Valoriser la parole essentielle Nous appelons ici à la valorisation de la parole. Pour que l’explosion de l’expression marque la 15 consécration de notre humanité. Non son atomisation. Qui sommes-nous pour le dire ? Des artistes de la parole. Des artisans du verbe en action. Des ouvriers du lien humain. Des passeurs d’histoires. Des forgerons du sens. Des ouvreurs de la présence. Nous sommes les porte-parole d’arts trois fois millénaires. De ces arts qui, depuis l’enfance du monde, forment le cœur de l’humanité. Qui, au fil des âges, ont œuvré à la déployer. Qui, aujourd’hui encore, nous donnent à toutes et à tous l’opportunité de nous transcender. Plus que jamais, nous considérons la parole comme vitale – cruciale pour la vie humaine et vivante par principe. Saisie dans toute sa substance, elle exprime notre quintessence. Essentielle et actuelle, elle cristallise le sens d’un propos, l’enjeu d’un discours, la force d’une pensée. Inspirée et adressée, elle manifeste le pouvoir du verbe, la résonance des mots, la présence du texte. Incarnée et partagée, elle donne voix au chapitre, vie à la langue, corps à l’oralité. Polyvalente et multifonctionnelle, elle embrasse toutes nos dimensions. Combat pour la parole De la parole, nous refusons la réduction à ses versions éruptive et délatrice, cancanière et moutonnière, babillarde et concassée. À sa caricature évidée, débitée en discours indigents. En slogans piteux. En messages dérisoires. En 16 toutes petites phrases. En vains éléments de langage. À sa triste figuration par les trois mousquetaires des temps modernes, Infox, Pathos, Clashos et Boxoffice. Nous ne laisserons pas le dernier mot à l’image sous prétexte qu’elle prétend tout dire. Nous savons, nous qui vous parlons, que le visible n’épuise pas tout. Que l’essentiel est invisible pour les yeux. Que les enfants se font aussi par l’oreille2 . Au commencement était le verbe, à la fin s’étale le verbiage. Cette globalisation de la parole, nous n’avons aucune intention de la laisser se résumer à sa dégradation. À sa standardisation et à son uniformisation. À sa marchandisation et à sa massification. À son aliénation et à son arriération. À sa pulvérisation en particules rudimentaires – en graines de néant. Jamais nous ne limiterons toutes nos pensées à un cliché. Deux posts. Trois secondes. Quatre émoticônes. Deux cent quatre-vingts caractères. Jamais nous ne reconnaîtrons au seul contenant la toute-puissance de dicter tout contenu. Au médium le pouvoir absolu de n’y voir rien que du flux. Nous rejetons la culture du mot jetable – aussitôt balancé, aussitôt évacué. Par-delà le déluge des vains propos d’emblée engloutis dans le fleuve de l’oubli, dans la longue patience des travaux et des jours, nous nous efforçons de bâtir, à travers notre ouvrage, “un trésor pour 17 toujours3 ” – cet horizon que se trace l’historien grec Thucydide. Le babil passe, la parole demeure. C’est elle qui nous tient à cœur. Elle qui nous tient debout. Qui sous-tend le nous. Nous relie au tout. À la cacophonie universelle nous préférons la résonance de l’essentiel. À l’empire du tout-àl’ego, la passion de l’interaction. Au brouhaha des opinions, le bruissement de la langue. Au vide des formules, la charge du sens. À l’inanité du zapping, l’intensité de l’attention. À l’inconséquence des discours, la responsabilité de l’énonciation. Au retranchement derrière l’écran, la communion dans la présence. À l’impunité dans l’immatériel, l’incarnation de l’expérience. À la complaisance dans la violence, la conscience de l’adresse. Au rejet de la différence, l’accueil de l’altérité. Au culte de soi, la culture de l’échange. Au simulacre de communauté, le partage d’humanité. Nous fondons notre travail, notre action, notre raison d’être – notre existence même – sur la parole. Aujourd’hui, nous constatons sa dégénérescence. Des ravages qu’elle provoque, nous prenons toute la mesure – en pleine connaissance de cause. Voilà pourquoi, ici même, nous entendons donner à la parole sa valeur capitale dans la société actuelle. En questionnant son rôle. En éclairant ses fonctions. En affirmant sa place. En attestant sa vocation.
La parole est un sport de combat Quand la parole démène le monde Nous vivons dans un monde de bruit et de fureur. Un monde de TIC1 , de clics et de claques. Un monde de rumeurs, de tweets, de bashings et de clashs. D’infox. De swipes, de fakes. De battles, de lol et de likes. Un monde digital où l’on montre du doigt. Où l’on met à l’index. Où l’on tranche du pouce. Où l’on cloue au pilori planétaire. Un monde de réseaux, où l’on tue pour un mot. Jamais l’Humanité n’a autant pris la parole. Phénomène inédit dans l’Histoire. À maints égards, opportunité inouïe. Tout le monde s’exprime. S’étale. Se lâche. Se fâche. Se casse. Partout, ça parle. Mais est-ce que ça s’écoute ? Est-ce que, pour autant, on se parle ? Qu’est-ce qui se joue ? Et qu’est-ce qui se dit ? Désormais, chacun peut donner de la voix. Prendre parti. Publier son avis. Proclamer à hauts cris. En un sens, c’est une chance. Un sens – oui, mais lequel ? 14 Tout dépend. Qui parle. Pour dire quoi. Au nom de quoi. À qui. Comment. Pour quoi. Il faut voir comme on se parle – l’humanité en moins. De ce pouvoir extrême, quels usages faisons-nous ? De façon écrasante, de nos jours, l’énonciation dégénère en dénonciation. En stigmatisation. En ségrégation. En destruction. Et qu’ils visent ou non à détruire, pour beaucoup les mots ne veulent plus rien dire. Gage d’inconscience, vide de sens et pleine de violence – telle s’impose aujourd’hui, dans sa version massive, la parole. Inflation verbale. Dévaluation du discours. Démonétisation des messages. Discrédit des vecteurs. Détérioration de l’échange. Dépréciation d’autrui. Telle est, à présent, la tendance. Le flux de paroles charrie le déferlement des pulsions. Le grand parloir vire au vaste défouloir. Logorrhée rime avec vacuité. Vanité. Cécité. Radicalité. Irresponsabilité. Dans nombre de ses modalités actuelles, en mauvaise part, à mesure qu’elle prolifère, la parole se dégrade. Sa profération induit trivialisation, instrumentalisation, division, humiliation. Bien souvent, elle avilit l’individu. Elle annihile le sens. Elle galvaude le locuteur. Elle dénigre l’autre. Elle déchire la société. Valoriser la parole essentielle Nous appelons ici à la valorisation de la parole. Pour que l’explosion de l’expression marque la 15 consécration de notre humanité. Non son atomisation. Qui sommes-nous pour le dire ? Des artistes de la parole. Des artisans du verbe en action. Des ouvriers du lien humain. Des passeurs d’histoires. Des forgerons du sens. Des ouvreurs de la présence. Nous sommes les porte-parole d’arts trois fois millénaires. De ces arts qui, depuis l’enfance du monde, forment le cœur de l’humanité. Qui, au fil des âges, ont œuvré à la déployer. Qui, aujourd’hui encore, nous donnent à toutes et à tous l’opportunité de nous transcender. Plus que jamais, nous considérons la parole comme vitale – cruciale pour la vie humaine et vivante par principe. Saisie dans toute sa substance, elle exprime notre quintessence. Essentielle et actuelle, elle cristallise le sens d’un propos, l’enjeu d’un discours, la force d’une pensée. Inspirée et adressée, elle manifeste le pouvoir du verbe, la résonance des mots, la présence du texte. Incarnée et partagée, elle donne voix au chapitre, vie à la langue, corps à l’oralité. Polyvalente et multifonctionnelle, elle embrasse toutes nos dimensions. Combat pour la parole De la parole, nous refusons la réduction à ses versions éruptive et délatrice, cancanière et moutonnière, babillarde et concassée. À sa caricature évidée, débitée en discours indigents. En slogans piteux. En messages dérisoires. En 16 toutes petites phrases. En vains éléments de langage. À sa triste figuration par les trois mousquetaires des temps modernes, Infox, Pathos, Clashos et Boxoffice. Nous ne laisserons pas le dernier mot à l’image sous prétexte qu’elle prétend tout dire. Nous savons, nous qui vous parlons, que le visible n’épuise pas tout. Que l’essentiel est invisible pour les yeux. Que les enfants se font aussi par l’oreille2 . Au commencement était le verbe, à la fin s’étale le verbiage. Cette globalisation de la parole, nous n’avons aucune intention de la laisser se résumer à sa dégradation. À sa standardisation et à son uniformisation. À sa marchandisation et à sa massification. À son aliénation et à son arriération. À sa pulvérisation en particules rudimentaires – en graines de néant. Jamais nous ne limiterons toutes nos pensées à un cliché. Deux posts. Trois secondes. Quatre émoticônes. Deux cent quatre-vingts caractères. Jamais nous ne reconnaîtrons au seul contenant la toute-puissance de dicter tout contenu. Au médium le pouvoir absolu de n’y voir rien que du flux. Nous rejetons la culture du mot jetable – aussitôt balancé, aussitôt évacué. Par-delà le déluge des vains propos d’emblée engloutis dans le fleuve de l’oubli, dans la longue patience des travaux et des jours, nous nous efforçons de bâtir, à travers notre ouvrage, “un trésor pour 17 toujours3 ” – cet horizon que se trace l’historien grec Thucydide. Le babil passe, la parole demeure. C’est elle qui nous tient à cœur. Elle qui nous tient debout. Qui sous-tend le nous. Nous relie au tout. À la cacophonie universelle nous préférons la résonance de l’essentiel. À l’empire du tout-àl’ego, la passion de l’interaction. Au brouhaha des opinions, le bruissement de la langue. Au vide des formules, la charge du sens. À l’inanité du zapping, l’intensité de l’attention. À l’inconséquence des discours, la responsabilité de l’énonciation. Au retranchement derrière l’écran, la communion dans la présence. À l’impunité dans l’immatériel, l’incarnation de l’expérience. À la complaisance dans la violence, la conscience de l’adresse. Au rejet de la différence, l’accueil de l’altérité. Au culte de soi, la culture de l’échange. Au simulacre de communauté, le partage d’humanité. Nous fondons notre travail, notre action, notre raison d’être – notre existence même – sur la parole. Aujourd’hui, nous constatons sa dégénérescence. Des ravages qu’elle provoque, nous prenons toute la mesure – en pleine connaissance de cause. Voilà pourquoi, ici même, nous entendons donner à la parole sa valeur capitale dans la société actuelle. En questionnant son rôle. En éclairant ses fonctions. En affirmant sa place. En attestant sa vocation.
La parole est un sport de combat Quand la parole démène le monde Nous vivons dans un monde de bruit et de fureur. Un monde de TIC1 , de clics et de claques. Un monde de rumeurs, de tweets, de bashings et de clashs. D’infox. De swipes, de fakes. De battles, de lol et de likes. Un monde digital où l’on montre du doigt. Où l’on met à l’index. Où l’on tranche du pouce. Où l’on cloue au pilori planétaire. Un monde de réseaux, où l’on tue pour un mot. Jamais l’Humanité n’a autant pris la parole. Phénomène inédit dans l’Histoire. À maints égards, opportunité inouïe. Tout le monde s’exprime. S’étale. Se lâche. Se fâche. Se casse. Partout, ça parle. Mais est-ce que ça s’écoute ? Est-ce que, pour autant, on se parle ? Qu’est-ce qui se joue ? Et qu’est-ce qui se dit ? Désormais, chacun peut donner de la voix. Prendre parti. Publier son avis. Proclamer à hauts cris. En un sens, c’est une chance. Un sens – oui, mais lequel ? 14 Tout dépend. Qui parle. Pour dire quoi. Au nom de quoi. À qui. Comment. Pour quoi. Il faut voir comme on se parle – l’humanité en moins. De ce pouvoir extrême, quels usages faisons-nous ? De façon écrasante, de nos jours, l’énonciation dégénère en dénonciation. En stigmatisation. En ségrégation. En destruction. Et qu’ils visent ou non à détruire, pour beaucoup les mots ne veulent plus rien dire. Gage d’inconscience, vide de sens et pleine de violence – telle s’impose aujourd’hui, dans sa version massive, la parole. Inflation verbale. Dévaluation du discours. Démonétisation des messages. Discrédit des vecteurs. Détérioration de l’échange. Dépréciation d’autrui. Telle est, à présent, la tendance. Le flux de paroles charrie le déferlement des pulsions. Le grand parloir vire au vaste défouloir. Logorrhée rime avec vacuité. Vanité. Cécité. Radicalité. Irresponsabilité. Dans nombre de ses modalités actuelles, en mauvaise part, à mesure qu’elle prolifère, la parole se dégrade. Sa profération induit trivialisation, instrumentalisation, division, humiliation. Bien souvent, elle avilit l’individu. Elle annihile le sens. Elle galvaude le locuteur. Elle dénigre l’autre. Elle déchire la société. Valoriser la parole essentielle Nous appelons ici à la valorisation de la parole. Pour que l’explosion de l’expression marque la 15 consécration de notre humanité. Non son atomisation. Qui sommes-nous pour le dire ? Des artistes de la parole. Des artisans du verbe en action. Des ouvriers du lien humain. Des passeurs d’histoires. Des forgerons du sens. Des ouvreurs de la présence. Nous sommes les porte-parole d’arts trois fois millénaires. De ces arts qui, depuis l’enfance du monde, forment le cœur de l’humanité. Qui, au fil des âges, ont œuvré à la déployer. Qui, aujourd’hui encore, nous donnent à toutes et à tous l’opportunité de nous transcender. Plus que jamais, nous considérons la parole comme vitale – cruciale pour la vie humaine et vivante par principe. Saisie dans toute sa substance, elle exprime notre quintessence. Essentielle et actuelle, elle cristallise le sens d’un propos, l’enjeu d’un discours, la force d’une pensée. Inspirée et adressée, elle manifeste le pouvoir du verbe, la résonance des mots, la présence du texte. Incarnée et partagée, elle donne voix au chapitre, vie à la langue, corps à l’oralité. Polyvalente et multifonctionnelle, elle embrasse toutes nos dimensions. Combat pour la parole De la parole, nous refusons la réduction à ses versions éruptive et délatrice, cancanière et moutonnière, babillarde et concassée. À sa caricature évidée, débitée en discours indigents. En slogans piteux. En messages dérisoires. En 16 toutes petites phrases. En vains éléments de langage. À sa triste figuration par les trois mousquetaires des temps modernes, Infox, Pathos, Clashos et Boxoffice. Nous ne laisserons pas le dernier mot à l’image sous prétexte qu’elle prétend tout dire. Nous savons, nous qui vous parlons, que le visible n’épuise pas tout. Que l’essentiel est invisible pour les yeux. Que les enfants se font aussi par l’oreille2 . Au commencement était le verbe, à la fin s’étale le verbiage. Cette globalisation de la parole, nous n’avons aucune intention de la laisser se résumer à sa dégradation. À sa standardisation et à son uniformisation. À sa marchandisation et à sa massification. À son aliénation et à son arriération. À sa pulvérisation en particules rudimentaires – en graines de néant. Jamais nous ne limiterons toutes nos pensées à un cliché. Deux posts. Trois secondes. Quatre émoticônes. Deux cent quatre-vingts caractères. Jamais nous ne reconnaîtrons au seul contenant la toute-puissance de dicter tout contenu. Au médium le pouvoir absolu de n’y voir rien que du flux. Nous rejetons la culture du mot jetable – aussitôt balancé, aussitôt évacué. Par-delà le déluge des vains propos d’emblée engloutis dans le fleuve de l’oubli, dans la longue patience des travaux et des jours, nous nous efforçons de bâtir, à travers notre ouvrage, “un trésor pour 17 toujours3 ” – cet horizon que se trace l’historien grec Thucydide. Le babil passe, la parole demeure. C’est elle qui nous tient à cœur. Elle qui nous tient debout. Qui sous-tend le nous. Nous relie au tout. À la cacophonie universelle nous préférons la résonance de l’essentiel. À l’empire du tout-àl’ego, la passion de l’interaction. Au brouhaha des opinions, le bruissement de la langue. Au vide des formules, la charge du sens. À l’inanité du zapping, l’intensité de l’attention. À l’inconséquence des discours, la responsabilité de l’énonciation. Au retranchement derrière l’écran, la communion dans la présence. À l’impunité dans l’immatériel, l’incarnation de l’expérience. À la complaisance dans la violence, la conscience de l’adresse. Au rejet de la différence, l’accueil de l’altérité. Au culte de soi, la culture de l’échange. Au simulacre de communauté, le partage d’humanité. Nous fondons notre travail, notre action, notre raison d’être – notre existence même – sur la parole. Aujourd’hui, nous constatons sa dégénérescence. Des ravages qu’elle provoque, nous prenons toute la mesure – en pleine connaissance de cause. Voilà pourquoi, ici même, nous entendons donner à la parole sa valeur capitale dans la société actuelle. En questionnant son rôle. En éclairant ses fonctions. En affirmant sa place. En attestant sa vocation.
La parole est un sport de combat Quand la parole démène le monde Nous vivons dans un monde de bruit et de fureur. Un monde de TIC1 , de clics et de claques. Un monde de rumeurs, de tweets, de bashings et de clashs. D’infox. De swipes, de fakes. De battles, de lol et de likes. Un monde digital où l’on montre du doigt. Où l’on met à l’index. Où l’on tranche du pouce. Où l’on cloue au pilori planétaire. Un monde de réseaux, où l’on tue pour un mot. Jamais l’Humanité n’a autant pris la parole. Phénomène inédit dans l’Histoire. À maints égards, opportunité inouïe. Tout le monde s’exprime. S’étale. Se lâche. Se fâche. Se casse. Partout, ça parle. Mais est-ce que ça s’écoute ? Est-ce que, pour autant, on se parle ? Qu’est-ce qui se joue ? Et qu’est-ce qui se dit ? Désormais, chacun peut donner de la voix. Prendre parti. Publier son avis. Proclamer à hauts cris. En un sens, c’est une chance. Un sens – oui, mais lequel ? 14 Tout dépend. Qui parle. Pour dire quoi. Au nom de quoi. À qui. Comment. Pour quoi. Il faut voir comme on se parle – l’humanité en moins. De ce pouvoir extrême, quels usages faisons-nous ? De façon écrasante, de nos jours, l’énonciation dégénère en dénonciation. En stigmatisation. En ségrégation. En destruction. Et qu’ils visent ou non à détruire, pour beaucoup les mots ne veulent plus rien dire. Gage d’inconscience, vide de sens et pleine de violence – telle s’impose aujourd’hui, dans sa version massive, la parole. Inflation verbale. Dévaluation du discours. Démonétisation des messages. Discrédit des vecteurs. Détérioration de l’échange. Dépréciation d’autrui. Telle est, à présent, la tendance. Le flux de paroles charrie le déferlement des pulsions. Le grand parloir vire au vaste défouloir. Logorrhée rime avec vacuité. Vanité. Cécité. Radicalité. Irresponsabilité. Dans nombre de ses modalités actuelles, en mauvaise part, à mesure qu’elle prolifère, la parole se dégrade. Sa profération induit trivialisation, instrumentalisation, division, humiliation. Bien souvent, elle avilit l’individu. Elle annihile le sens. Elle galvaude le locuteur. Elle dénigre l’autre. Elle déchire la société. Valoriser la parole essentielle Nous appelons ici à la valorisation de la parole. Pour que l’explosion de l’expression marque la 15 consécration de notre humanité. Non son atomisation. Qui sommes-nous pour le dire ? Des artistes de la parole. Des artisans du verbe en action. Des ouvriers du lien humain. Des passeurs d’histoires. Des forgerons du sens. Des ouvreurs de la présence. Nous sommes les porte-parole d’arts trois fois millénaires. De ces arts qui, depuis l’enfance du monde, forment le cœur de l’humanité. Qui, au fil des âges, ont œuvré à la déployer. Qui, aujourd’hui encore, nous donnent à toutes et à tous l’opportunité de nous transcender. Plus que jamais, nous considérons la parole comme vitale – cruciale pour la vie humaine et vivante par principe. Saisie dans toute sa substance, elle exprime notre quintessence. Essentielle et actuelle, elle cristallise le sens d’un propos, l’enjeu d’un discours, la force d’une pensée. Inspirée et adressée, elle manifeste le pouvoir du verbe, la résonance des mots, la présence du texte. Incarnée et partagée, elle donne voix au chapitre, vie à la langue, corps à l’oralité. Polyvalente et multifonctionnelle, elle embrasse toutes nos dimensions. Combat pour la parole De la parole, nous refusons la réduction à ses versions éruptive et délatrice, cancanière et moutonnière, babillarde et concassée. À sa caricature évidée, débitée en discours indigents. En slogans piteux. En messages dérisoires. En 16 toutes petites phrases. En vains éléments de langage. À sa triste figuration par les trois mousquetaires des temps modernes, Infox, Pathos, Clashos et Boxoffice. Nous ne laisserons pas le dernier mot à l’image sous prétexte qu’elle prétend tout dire. Nous savons, nous qui vous parlons, que le visible n’épuise pas tout. Que l’essentiel est invisible pour les yeux. Que les enfants se font aussi par l’oreille2 . Au commencement était le verbe, à la fin s’étale le verbiage. Cette globalisation de la parole, nous n’avons aucune intention de la laisser se résumer à sa dégradation. À sa standardisation et à son uniformisation. À sa marchandisation et à sa massification. À son aliénation et à son arriération. À sa pulvérisation en particules rudimentaires – en graines de néant. Jamais nous ne limiterons toutes nos pensées à un cliché. Deux posts. Trois secondes. Quatre émoticônes. Deux cent quatre-vingts caractères. Jamais nous ne reconnaîtrons au seul contenant la toute-puissance de dicter tout contenu. Au médium le pouvoir absolu de n’y voir rien que du flux. Nous rejetons la culture du mot jetable – aussitôt balancé, aussitôt évacué. Par-delà le déluge des vains propos d’emblée engloutis dans le fleuve de l’oubli, dans la longue patience des travaux et des jours, nous nous efforçons de bâtir, à travers notre ouvrage, “un trésor pour 17 toujours3 ” – cet horizon que se trace l’historien grec Thucydide. Le babil passe, la parole demeure. C’est elle qui nous tient à cœur. Elle qui nous tient debout. Qui sous-tend le nous. Nous relie au tout. À la cacophonie universelle nous préférons la résonance de l’essentiel. À l’empire du tout-àl’ego, la passion de l’interaction. Au brouhaha des opinions, le bruissement de la langue. Au vide des formules, la charge du sens. À l’inanité du zapping, l’intensité de l’attention. À l’inconséquence des discours, la responsabilité de l’énonciation. Au retranchement derrière l’écran, la communion dans la présence. À l’impunité dans l’immatériel, l’incarnation de l’expérience. À la complaisance dans la violence, la conscience de l’adresse. Au rejet de la différence, l’accueil de l’altérité. Au culte de soi, la culture de l’échange. Au simulacre de communauté, le partage d’humanité. Nous fondons notre travail, notre action, notre raison d’être – notre existence même – sur la parole. Aujourd’hui, nous constatons sa dégénérescence. Des ravages qu’elle provoque, nous prenons toute la mesure – en pleine connaissance de cause. Voilà pourquoi, ici même, nous entendons donner à la parole sa valeur capitale dans la société actuelle. En questionnant son rôle. En éclairant ses fonctions. En affirmant sa place. En attestant sa vocation.
La parole est un sport de combat Quand la parole démène le monde Nous vivons dans un monde de bruit et de fureur. Un monde de TIC1 , de clics et de claques. Un monde de rumeurs, de tweets, de bashings et de clashs. D’infox. De swipes, de fakes. De battles, de lol et de likes. Un monde digital où l’on montre du doigt. Où l’on met à l’index. Où l’on tranche du pouce. Où l’on cloue au pilori planétaire. Un monde de réseaux, où l’on tue pour un mot. Jamais l’Humanité n’a autant pris la parole. Phénomène inédit dans l’Histoire. À maints égards, opportunité inouïe. Tout le monde s’exprime. S’étale. Se lâche. Se fâche. Se casse. Partout, ça parle. Mais est-ce que ça s’écoute ? Est-ce que, pour autant, on se parle ? Qu’est-ce qui se joue ? Et qu’est-ce qui se dit ? Désormais, chacun peut donner de la voix. Prendre parti. Publier son avis. Proclamer à hauts cris. En un sens, c’est une chance. Un sens – oui, mais lequel ? 14 Tout dépend. Qui parle. Pour dire quoi. Au nom de quoi. À qui. Comment. Pour quoi. Il faut voir comme on se parle – l’humanité en moins. De ce pouvoir extrême, quels usages faisons-nous ? De façon écrasante, de nos jours, l’énonciation dégénère en dénonciation. En stigmatisation. En ségrégation. En destruction. Et qu’ils visent ou non à détruire, pour beaucoup les mots ne veulent plus rien dire. Gage d’inconscience, vide de sens et pleine de violence – telle s’impose aujourd’hui, dans sa version massive, la parole. Inflation verbale. Dévaluation du discours. Démonétisation des messages. Discrédit des vecteurs. Détérioration de l’échange. Dépréciation d’autrui. Telle est, à présent, la tendance. Le flux de paroles charrie le déferlement des pulsions. Le grand parloir vire au vaste défouloir. Logorrhée rime avec vacuité. Vanité. Cécité. Radicalité. Irresponsabilité. Dans nombre de ses modalités actuelles, en mauvaise part, à mesure qu’elle prolifère, la parole se dégrade. Sa profération induit trivialisation, instrumentalisation, division, humiliation. Bien souvent, elle avilit l’individu. Elle annihile le sens. Elle galvaude le locuteur. Elle dénigre l’autre. Elle déchire la société. Valoriser la parole essentielle Nous appelons ici à la valorisation de la parole. Pour que l’explosion de l’expression marque la 15 consécration de notre humanité. Non son atomisation. Qui sommes-nous pour le dire ? Des artistes de la parole. Des artisans du verbe en action. Des ouvriers du lien humain. Des passeurs d’histoires. Des forgerons du sens. Des ouvreurs de la présence. Nous sommes les porte-parole d’arts trois fois millénaires. De ces arts qui, depuis l’enfance du monde, forment le cœur de l’humanité. Qui, au fil des âges, ont œuvré à la déployer. Qui, aujourd’hui encore, nous donnent à toutes et à tous l’opportunité de nous transcender. Plus que jamais, nous considérons la parole comme vitale – cruciale pour la vie humaine et vivante par principe. Saisie dans toute sa substance, elle exprime notre quintessence. Essentielle et actuelle, elle cristallise le sens d’un propos, l’enjeu d’un discours, la force d’une pensée. Inspirée et adressée, elle manifeste le pouvoir du verbe, la résonance des mots, la présence du texte. Incarnée et partagée, elle donne voix au chapitre, vie à la langue, corps à l’oralité. Polyvalente et multifonctionnelle, elle embrasse toutes nos dimensions. Combat pour la parole De la parole, nous refusons la réduction à ses versions éruptive et délatrice, cancanière et moutonnière, babillarde et concassée. À sa caricature évidée, débitée en discours indigents. En slogans piteux. En messages dérisoires. En 16 toutes petites phrases. En vains éléments de langage. À sa triste figuration par les trois mousquetaires des temps modernes, Infox, Pathos, Clashos et Boxoffice. Nous ne laisserons pas le dernier mot à l’image sous prétexte qu’elle prétend tout dire. Nous savons, nous qui vous parlons, que le visible n’épuise pas tout. Que l’essentiel est invisible pour les yeux. Que les enfants se font aussi par l’oreille2 . Au commencement était le verbe, à la fin s’étale le verbiage. Cette globalisation de la parole, nous n’avons aucune intention de la laisser se résumer à sa dégradation. À sa standardisation et à son uniformisation. À sa marchandisation et à sa massification. À son aliénation et à son arriération. À sa pulvérisation en particules rudimentaires – en graines de néant. Jamais nous ne limiterons toutes nos pensées à un cliché. Deux posts. Trois secondes. Quatre émoticônes. Deux cent quatre-vingts caractères. Jamais nous ne reconnaîtrons au seul contenant la toute-puissance de dicter tout contenu. Au médium le pouvoir absolu de n’y voir rien que du flux. Nous rejetons la culture du mot jetable – aussitôt balancé, aussitôt évacué. Par-delà le déluge des vains propos d’emblée engloutis dans le fleuve de l’oubli, dans la longue patience des travaux et des jours, nous nous efforçons de bâtir, à travers notre ouvrage, “un trésor pour 17 toujours3 ” – cet horizon que se trace l’historien grec Thucydide. Le babil passe, la parole demeure. C’est elle qui nous tient à cœur. Elle qui nous tient debout. Qui sous-tend le nous. Nous relie au tout. À la cacophonie universelle nous préférons la résonance de l’essentiel. À l’empire du tout-àl’ego, la passion de l’interaction. Au brouhaha des opinions, le bruissement de la langue. Au vide des formules, la charge du sens. À l’inanité du zapping, l’intensité de l’attention. À l’inconséquence des discours, la responsabilité de l’énonciation. Au retranchement derrière l’écran, la communion dans la présence. À l’impunité dans l’immatériel, l’incarnation de l’expérience. À la complaisance dans la violence, la conscience de l’adresse. Au rejet de la différence, l’accueil de l’altérité. Au culte de soi, la culture de l’échange. Au simulacre de communauté, le partage d’humanité. Nous fondons notre travail, notre action, notre raison d’être – notre existence même – sur la parole. Aujourd’hui, nous constatons sa dégénérescence. Des ravages qu’elle provoque, nous prenons toute la mesure – en pleine connaissance de cause. Voilà pourquoi, ici même, nous entendons donner à la parole sa valeur capitale dans la société actuelle. En questionnant son rôle. En éclairant ses fonctions. En affirmant sa place. En attestant sa vocation….