Livres de l’été : « Maurice Barrès. Le grand inconnu. »
De Gaulle, Malraux, Mitterrand, Mauriac, Montherlant ont un point en commun : leur admiration pour Maurice Barrès . Biographie
S’il est oublié de nos jours, contesté, voire dénoncé à tout propos, il faut se rappeler que Maurice Barrès fut, au tournant du vingtième siècle, un écrivain adulé. « Le prince de la jeunesse » tel était son surnom, chantre du « culte du moi », a incité toute une génération à s’affirmer et à sortir du conformisme pour mieux exister.
François Mauriac parlait de la lecture de Barrès comme d’une « révélation » qui l’a fait rêver à d’autres horizons, loin de son éducation religieuse.
Toute sa carrière d’écrivain, il n’a eu de cesse de vouloir bouleverser les habitudes et de « déboulonner les statues » ainsi qu’il l’écrivait.
Au cœur de son « roman de l’énergie nationale », il a laissé voir son amour de la « terre » et ses idéaux politiques : fédéralisme, enracinement, culture des morts et des héros, convaincu qu’il était qu’une société ne peut se contenter de progrès technologique et de sciences, mais qu’elle a besoin de convoquer des symboles auxquels se rattacher.
Barrès, écrivain, guide d’une génération, mais aussi un homme aux engagements politiques qui, avec le recul, ternissent son héritage littéraire.
Il se lance en politique presque par défaut, pour tromper l’ennui et soutient le général Boulanger dans sa folle aventure du 1889 qui a failli emporter le régime républicain. Élu député, il se réclame d’une forme de socialisme et siège à l’extrême gauche. Pourtant, c’est un « homme classique » de la IIIe République, un bourgeois dandy, rêveur et prêt à renverser l’ordre établi pourvu que cela lui procure action et gloire politique, en plus du succès des lettres.
Point noir. Nationaliste, à la différence du monarchiste Charles Maurras dont on le rapproche, et qui saluait son œuvre, il est convaincu de la culpabilité du capitaine Dreyfus. L’armée, comme la terre, ne peut pas mentir. Que Dreyfus, le « juif », soit capable de trahison, Barrès le « conclut de sa race ». Cette prise de position dans un combat moral et philosophique majeur de la France contemporaine pousse son vieil ami, Léon Blum, à couper les ponts.
Pris dans l’engrenage infernal de la Première Guerre mondiale dont aucun homme de sa génération ne sortira indemne, il revient sur ses propos antisémites après avoir vu que les juifs, aussi, sont morts dans les tranchées au nom de la France. Pour lui, ils font désormais bien partie des « multiples familles spirituelles qui composent la France ».
L’œuvre de Barrès est d’une infinie complexité, mais on sort de cet ouvrage éclairé grâce à la plume et au travail colossal de son auteur, Emmanuel Godo, qui y a consacré 35 ans de sa vie.
« Maurice Barrès. Le grand inconnu. 1862—1923 », d’Emmanuel Godo, Tallandier, 688 p., 27 €, numérique 19€