L’ordre et la gauche
On peut légitimement moquer les recettes passéistes proposées par Emmanuel Macron pour réhabiliter l’école républicaine. À condition de prendre en compte la demande de tranquillité qui émane de nombreuses familles, souvent les plus modestes.
Uniforme au collège, instruction civique renforcée, Marseillaise pour les enfants, service civique généralisé… Le « réarmement » prôné par Emmanuel Macron fleure bon l’instruction à l’ancienne et les images sépia d’un mythique âge d’or de l’école républicaine. Il n’y manque que l’odeur de la craie, les plumes sergent-major et les coups de règle sur les doigts.
Du coup, la gauche fustige ce rappel à l’ordre, cette nostalgie patriotique, ce passage du « en même temps » au temps passé, manifestement destiné à un électorat de droite qui pense que tout en France « était mieux avant ». Fort bien. Il y a effectivement quelque chose d’un peu ridicule dans cet éloge d’une époque révolue où la discipline scolaire visait à formater de bons Français obéissants, où l’école triait sans états d’âme les élèves dès la fin du primaire, aiguillant les enfants des classes cultivées vers le lycée, les autres vers l’enseignement court qui menait aux champs ou à l’usine.
Mais, à bien y réfléchir, n’y a-t-il pas là, aussi bien, un piège, dissimulé par ce plan passéiste propre à susciter un réflexe pavlovien ? En moquant cette apologie de l’ordre et des règles, l’ancienne gauche risque d’oublier l’angoisse de nombreuses familles, dans les quartiers populaires, notamment, qui voient des points de deal s’établir à proximité des collèges, la violence pénétrer dans ces sanctuaires dédiés au savoir, les professeurs découragés par un métier de plus en plus difficile face à un public rétif, les écrans capter l’attention des enfants au détriment de l’apprentissage, le recrutement des enseignants se tarir en raison d’un statut professoral dévalué et dénigré.
Le piège, au vrai, saute aux yeux : en se récriant devant l’apologie de l’ordre, la gauche se résignerait-elle au désordre ? Proposerait-elle, au fond, de ne rien faire devant les difficultés qui assaillent tant de collèges et de lycées, bousculés par un environnement social dégradé, au fonctionnement émaillé d’incivilités quotidiennes, affectés d’une baisse de niveau attestée par toutes les études internationales et qui incite de nombreuses familles, qui ne sont pas toutes bourgeoises, à préférer l’enseignement privé ?
Pour tout républicain, la défense de l’école publique est un impératif catégorique. Mais pour qu’elle remplisse sa mission, il faut aussi que cette école assure aux élèves une vie tranquille, un respect des règles et des enseignants, des classes paisibles et une laïcité rigoureuse. Les remèdes macroniens, symboliques pour l’essentiel, jouent sur le souvenir enjolivé d’une école d’Épinal. Certes. Mais, en dehors de la juste revendication d’un meilleur salaire et de l’éternelle demande de moyens accrus, quelles sont les solutions de gauche propres à réhabiliter l’école républicaine aux yeux de l’opinion, à rassurer les familles modestes, pour qui l’école représente le seul espoir d’ascension sociale ?
On a raison de défendre le collège unique, attaqué par la bande, de prôner une éducation démocratique et moderne, qui améliore l’égalité des chances et cherche à corriger les handicaps de départ. Mais pour atteindre ces justes objectifs, la tranquillité scolaire est une condition cardinale. Voilà un motif de réflexion essentiel pour une gauche qui veut relever les défis d’aujourd’hui en regardant les choses en face.