« Loup polaire » : un crime froid

par LeJournal |  publié le 17/02/2024

L’opposant a été assassiné par Moscou. Lentement, par un froid polaire, la faim et les privations, dans une colonie pénitentiaire du bout du monde arctique 

Des bougies et une photo du leader de l'opposition russe Alexei Navalny sont déposées sur un mémorial improvisé alors que des personnes manifestent et rendent hommage à son décès en prison, devant l'ancien consulat russe à Francfort, dans l'ouest de l'Allemagne, le 16 février 2024 -Photo AFP)

Alexeï Navalny, mort ce vendredi 16 février à 47 ans, avait une formation d’avocat. Son opposition farouche au régime de Poutine l’a conduit à être harcelé, dénoncé comme un « agent de l’étranger » et emprisonné dans une colonie pénitentiaire si dure qu’elle a fini par le tuer.

En pleine campagne lors des législatives de 2020, il tombe subitement malade et va se faire soigner en Allemagne, sans doute empoisonné par les agents de Poutine. Il aurait pu choisir l’exil, mais décide de revenir en Russie en janvier 2021, où il est arrêté dès sa descente d’avion pour « ne pas avoir respecté son contrôle judiciaire » . Deux jours plus tard, le monde découvre son documentaire sur le palais à 1 milliard d’euros du chef du régime sur les bords de la mer Noire. 100 millions de vues plus tard, V. Poutine doit démentir en personne. La police et l’armée répriment toutes manifestations.

Navalny a payé son engagement de sa vie.  Les dernières années de sa vie se sont déroulées en prison. Après vingt jours de transfert dans le plus grand secret depuis la banlieue de Moscou, il est incarcéré à la colonie pénitentiaire « IK-3 », nommée « Loup polaire ». Et pour cause :

« «La promenade commence à 6 h 30. Il n’a jamais fait plus froid que moins 32 degrés. Même à cette température, on peut marcher plus d’une demi-heure, à condition toutefois de pouvoir se faire pousser un nouveau nez, de nouvelles oreilles et de nouveaux doigts», a raconté Navalny, lors de son procès (Le Figaro), sans jamais se départir de son humour : «Peu de choses sont aussi revigorantes qu’une promenade à Yamal à 6 h 30 du matin. Et quelle belle brise fraîche souffle dans la cour, malgré la clôture en béton» !

« Loup polaire » mérite bien son nom.  Le pouvoir fait tout pour pourrir la vie des prisonniers. Navalny occupe une cellule de 2 mètres sur trois, où il ne peut s’allonger entre de 6 heures à 22 heures. Il n’a droit qu’à un seul livre. À IK-3, il devra travailler les peaux de rennes et coudre des uniformes. Souffrant du dos, amaigri d’une vingtaine de kilos, il souffre très vite d’une maladie de l’estomac. Une occasion supplémentaire de le torturer :

«J’ai droit à deux chopes d’eau bouillante. Je les attends. C’est trois belles minutes dans ma journée quand on me donne ces deux chopes et deux morceaux de pain dégoûtants. Je voudrais les boire et les manger normalement». Mais en vertu du règlement, on lui accorde que quinze minutes pour avaler son repas. L’eau est bouillante, le temps de bruler la gorge :

«Je dois m’étouffer avec cette eau bouillante. Et tout cela pour que personne ne puisse manger normalement”.

Navalny sera envoyé à 23 reprises en cellule d’isolement punitif, où il passera au total 240 jours, huit mois entiers. À la colonie « Loup polaire », pas très loin de l’ancien Goulag 501 d’Alexandre Soljenitsyne, cela ressemble à une condamnation à mort. L’opposant irréductible a fini par s’effondrer, dans cette cour de promenade, là où, à 6H30 du matin,  et au-delà du cercle arctique « souffle une belle bise fraîche ».

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