L’Ukraine doublement trahie
Qui s’en souvient ? En 1994, l’Ukraine concluait avec Moscou et Washington un accord qui assurait sa sécurité en échange de la restitution des armes nucléaires héritées de la période soviétique. Un accord trahi successivement par la Russie et les États-Unis.

Se rappelle-t-on encore les mémorandums de Budapest ? Pas sûr, si l’on s’en tient aux faits. Ces documents, signés en 1994 – dans l’après-guerre froide – par les États-Unis, la Fédération de Russie et le Royaume-Uni, devaient assurer le respect de l’intégrité territoriale de trois autres signataires, anciennes républiques de l’ex-URSS: l’Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan. Les garanties de sécurité conférées aux trois nouveaux états indépendants impliquaient parallèlement la ratification du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Cette condition concernait particulièrement l’Ukraine qui s’était retrouvée, après la dissolution de l’Union soviétique, troisième puissance nucléaire mondiale, avec tout un arsenal hérité des anciens maîtres du Kremlin.
Ainsi Kiev renonçait à ses 176 missiles et à ses 1500 ogives nucléaires, contre l’assurance que son indépendance, sa souveraineté et son intégrité seraient respectées. En contrepartie, Moscou, Washington et Londres s’engageaient à ne pas utiliser leurs armes contre l’Ukraine, ni à exercer contre elle de coercition économique. Et ils promettaient de lui venir en aide en cas de menace d’agression nucléaire. Dès 1996, l’arsenal nucléaire ukrainien était restitué à Moscou.
Ce fut la première trahison subie par l’Ukraine. Le mémorandum avait été transmis aux Nations Unies juste après sa ratification. Ils avaient été renouvelés en 2009 par Dimitri Medvedev, alors président de la Russie, avec Vladimir Poutine comme Premier ministre. Mais en février 2022, la Russie piétinait ses engagements. Kiev revendiquait son indépendance : il fallait mater ce pouvoir rebelle. Et après trois années de guerre défensive pour l’Ukraine, les États-Unis de Donald Trump manquaient à leur tour à la parole donnée en stoppant brutalement l’aide apportée à Kiev et en réclamant de surcroît une rétribution économique pour l’aide antérieure. Que valent les promesses des autocrates ? Elles n’engagent que ceux qui les écoutent, dit l’adage. Les Ukrainiens qui se battent pour leur indépendance sont légitimes à parler de traîtrise.
Les adversaires de Kiev arguent qu’un mémorandum n’est pas un traité, que l’intervention pour la défense de l’Ukraine en cas de menace est une hypothèse non contraignante, que son projet d’adhésion à l’OTAN constituait une menace pour Moscou, On relèvera d’ailleurs que cette demande n’a jamais été formellement validée par Washington, Paris et Berlin, ni avant le conflit, ni pendant. Autant d’arguties qui peuvent être démontées par un recours au texte originel. En revanche, la Russie, par la voix de son président et en violation du mémorandum, a bel et bien menacé l’Ukraine de recourir à des missiles nucléaires tactiques une fois les hostilités ouvertes.
On s’étonne aujourd’hui, que l’Union européenne se montre vigilante sur les conditions d’un traité de paix qui garantisse une sécurité durable à l’Ukraine. Mais face au bellicisme de Vladimir Poutine et au renversement d’alliance de Donald Trump, seul un réarmement européen peut garantir l’accord éventuel. Emmanuel Macron ne dit pas autre chose. On l’accuse de jouer les boutefeus ? Au début de la guerre en Ukraine, on lui reprochait ses efforts diplomatiques pour empêcher la guerre… La dénonciation des périls n’était pas son option initiale. Ce sont les circonstances qui ont infléchi la stratégie. Retour à la case départ : il s’agit aujourd’hui à retrouver le cadre de feu le mémorandum de Budapest, avec cette fois des garanties tangibles pour assurer la sécurité des frontières de l’est.