Lyon-Turin : ce qu’il y a au bout du tunnel

par Laurent Joffrin |  publié le 18/06/2023

Plusieurs groupes écologistes protestent contre un projet… qui doit réduire les émissions de gaz à effet de serre

Laurent Joffrin

Contradictions écologistes… Quelque 3000 personnes ont manifesté samedi contre le projet de ligne à grande vitesse Lyon-Turin à travers les Alpes, qui « éventre la montagne », artificialise les sols et risque de perturber l’équilibre hydrologique des vallées concernées. Manifestation d’apparence légitime, donc.

On oublie seulement, dans ce réquisitoire, de signaler que le projet réduira notablement la circulation des camions entre la France et l’Italie, qui empoisonne les vallées alpines. Outre la division par deux du temps de trajet entre Lyon et Turin, les promoteurs de la nouvelle ligne estiment qu’elle économisera chaque année un million de tonnes d’équivalent CO2, ce qui représente les émissions d’une ville de 300 000 habitants. Même en supposant que le chiffre soit un peu gonflé pour les besoins de la cause, l’économie en émissions est indiscutable et conséquente.


Pour cette raison, la construction de cette liaison est incluse dans le vaste « Green Deal » européen et participe d’un projet plus global : le développement de liaisons ferroviaires rapides dans toute l’Europe, qui réduira le trafic routier et aérien sur le continent. Arguments forts, qui justifient, aux yeux des pouvoirs publics, le coût élevé de l’opération (quelque 26 milliards d’euros, financés en partie par l’Union européenne).


Quant à « l’éventration » de la montagne, l’image est ridicule. Les tunnels sont souterrains et donc invisibles ; à l’échelle d’un massif montagneux comme les Alpes, ils sont minuscules ; et avec une pollution diminuée, la montagne se portera mieux après le tunnel qu’avant. En Occitanie, d’ailleurs, où le projet de ligne Perpignan-Montpellier est lui aussi contesté, les défenseurs de l’environnement exigent, pour éviter les nuisances… le percement d’un tunnel sous le massif des Corbières.


À vrai dire, l’affaire n’oppose pas, selon un schéma trop simple, les écologistes et les « productivistes », mais plutôt deux conceptions de l’écologie. Pour les uns, qui manifestaient samedi, cette volonté de faciliter les échanges économiques, de gagner du temps, de favoriser une croissance nouvelle, serait-elle moins polluante, a quelque chose d’immoral.

L’heure est à la sobriété, à la lenteur, au respect quasi religieux des sites naturels. En un mot : à la décroissance, qui seule réduira les émissions de gaz à effet de serre. Pour les autres, qui soutiennent le projet, la croissance n’est pas un mal en soi. Si des projets globalement favorables à l’environnement en même temps qu’à l’économie exigent des investissements massifs, il faut les consentir.
Décroissance d’un côté, nouvelle croissance de l’autre. P

our l’instant, le choix des autorités démocratiquement élues, de droite ou de gauche, n’est pas douteux : pour protéger le climat tout en favorisant l’emploi et les échanges, elles ont décidé de promouvoir, plutôt que l’avion et le camion, une Europe du rail. Celle-là même, d’ailleurs, que les écologistes appelaient encore récemment de leurs vœux.

Laurent Joffrin