Macron et la gauche : concours de tartufferie
Le président, censé combattre le RN, le légitime ; la Nupes, censée combattre la xénophobie, lui ouvre la voie.
La chose est trop rare pour ne pas être soulignée : un homme politique quitte un poste enviable et envié pour une question de principe. Que dire, sinon qu’Aurélien Rousseau, en démissionnant de son ministère, s’est comporté en homme honorable, qui fait passer ses convictions avant ses intérêts ?
Sa décision, en tout cas, braque le projecteur sur les concessions dangereuses qu’Emmanuel Macron vient d’accorder à la droite et, par groupe LR interposé, au Rassemblement national. En bon rhétoricien, le président de la République s’est efforcé hier soir, dans l’émission C à vous, de déminer cette embarrassante polémique. Sans emporter la conviction, il faut bien le dire… On comprend qu’il avait besoin de trouver une majorité. Mais cela ne saurait dissimuler le caractère byzantin du processus suivi pour aboutir au vote de lundi soir, qui ne grandit pas la classe politique. Ainsi, ses amis ont fait voter un texte dont ils réprouvent une bonne partie des articles ; ils ont adopté des dispositions dont eux-mêmes disent qu’elles ne sont sans doute pas constitutionnelles. Le président d’apprête même à saisir le Conseil en espérant faire annuler des mesures qu’il a lui-même admises au cours de la négociation. Grand écart et acrobaties…
Il se défend comme un beau diable d’avoir cédé à l’idéologie frontiste. La priorité nationale, dit-il, existe déjà pour le RMI devenu RSA, qu’un étranger ne peut percevoir qu’après cinq années de résidence. Est-ce une raison pour l’étendre à d’autres prestations en faveur des immigrés les plus démunis, comme le réclame sans cesse le Rassemblement national ? Et ce faisant, le gouvernement fait-il autre chose que légitimer la vision xénophobe défendue depuis quarante ans par Marine Le Pen ? Voilà une manière bien contournée de faire de la politique : se faire élire en promettant de faire barrage au RN, puis ouvrir dans le dit barrage une large brèche qui permet à Marine Le Pen de revendiquer une « victoire idéologique ».
La gauche s’indigne à hauts cris. Elle a raison. Mais en adoptant les pratiques d’obstruction mises en œuvre depuis leur arrivée en nombre par les députés LFI, n’a-t-elle pas contribué, elle aussi, à brouiller les cartes et à autoriser la droitisation du texte ? En votant avec le RN à l’Assemblée, la Nupes, soudain ressuscitée, a rejeté un texte beaucoup moins dur que celui dont elle a facilité par là-même l’adoption. Ainsi se poursuit cette stratégie du bruit et de la fureur prônée par Jean-Luc Mélenchon, qui a mené la gauche où elle est en aujourd’hui, c’est-à-dire au plus bas.
Remarque-t’on assez qu’en dépit des multiples crises traversées par Emmanuel Macron, des pas de clerc répétés de sa majorité, des difficultés sans nom dans lesquelles se débattent une partie des Français, l’opposition de gauche n’a pas gagné une voix depuis un an et demi ? Stagnation d’autant plus frappante que la droitisation macroniste devrait logiquement lui ouvrir un espace politique pour retrouver ses électeurs perdus. Mais il faudrait pour cela redevenir une force de proposition et de gouvernement. En reprenant, comme devant, la manière agressive et sectaire de LFI, elle n’en prend pas le chemin.