Macron-Mélenchon : la convergence tactique

par Laurent Joffrin |  publié le 30/04/2024

La protestation étudiante contre la guerre de Gaza dissimule mal les arrière-pensées électorales communes de LFI et de la macronie.

Laurent Joffrin

L’agitation qui secoue plusieurs institutions universitaires, Sciences Po Paris et la Sorbonne entre autres, mérite un décryptage lucide, qui renvoie en fait à la scène politique nationale. À la protestation compréhensible d’une partie de la jeunesse contre la guerre de Gaza, se mêle une bataille beaucoup plus politicienne, où se conjuguent les calculs électoraux de la France insoumise et ceux de la macronie.

Il est certain que la prolongation indéfinie de la cruelle guerre de Gaza suscite – à juste titre – l’indignation d’une partie du monde universitaire. Il est donc logique que les plus actifs des étudiants manifestent leur réprobation par des actions militantes à la fois classiques et spectaculaires : manifestations à l’intérieur ou aux abords des facs et des écoles, occupations d’amphis ou de halls de faculté, ou encore déploiement de campements sauvages. Déjà vu…

Mais il faut aussi le dire sans ambages : ces actions – chacun peut le constater – sont à ce stade ultra-minoritaires. Les militants mobilisés atteignent péniblement la centaine, que ce soit à Sciences Po ou à la Sorbonne, deux institutions qui comptent des milliers d’étudiants dont la plupart s’abstiennent de toute participation. Chacun peut aussi constater que ces militants sont soutenus, et souvent cornaqués, par les responsables de la France insoumise, qui épaulent ostensiblement le mouvement et sont souvent présents sur les lieux, avec porte-voix et écharpes tricolores en bandoulière, distillant mots d’ordre et consignes tactiques.

Liens organiques

Aussi bien, le syndicat le plus en pointe dans le mouvement, l’Union étudiante, est connu pour ses liens organiques avec les amis de Jean-Luc Mélenchon. Autrement dit, loin d’être une protestation autonome et spontanée, l’agitation en cours est surtout le prolongement de la campagne lancée dès le 7 octobre par Jean-Luc Mélenchon pour tenter de capter le vote musulman, quand il a refusé de qualifier de « terroriste » l’attaque barbare du Hamas et demandé un cessez-le-feu immédiat, ce qui revenait, à l’époque, à dénier à Israël tout droit de se défendre. Bien entendu, l’extrême brutalité de la répression organisée par le gouvernement Netanyahou, toujours en cours à Gaza, lui fournit sans cesse des arguments.

Face à ce mouvement très minoritaire, mais très médiatisé, le gouvernement a choisi la fermeté. Il se défendra sans doute en arguant qu’il a pour devoir de faire respecter la loi. Certes. Mais l’expérience historique montre que l’État, s’il veut apaiser les choses, se comporte en général avec un certain doigté devant les débordements juvéniles du monde estudiantin. C’est tout le contraire cette fois : on interdit des réunions politiques, on traîne des élus LFI devant les tribunaux, on fait donner la police pour dégager la trentaine de tentes dressées dans la cour de la Sorbonne, qui n’entravaient en rien les études et pouvaient se résorber par la négociation.

Difficile de ne pas déceler, dans cette rigueur immédiate et excessive, un raisonnement politique. La réaction policière et judiciaire, outre qu’elle risque de provoquer l’extension du mouvement, permet à la France insoumise de se poser en victime de la rigueur étatique et en héroïne de la liberté d’expression. Ainsi, la macronie, de la même manière qu’elle se présente comme le seul rempart possible contre le Rassemblement national, installe un deuxième duel, avec Mélenchon cette fois, ce qui valorise le leader LFI et lui permet d’occuper la scène médiatique. Mettre en vedette les extrêmes pour apparaître comme la seule alternative raisonnable aux outrances de l’extrême-droite et de l’extrême-gauche : le stratagème est cousu de fil blanc.

Laurent Joffrin