Macron – Quai d’Orsay : le grand écart
L’un improvise, saute de capitale en capitale, propose puis renonce, se contredit, devient illisible; l’autre grogne , soupèse, cherche une synthèse impossible, une ligne claire et ne sait plus sur quel pied danser…
Le diplomate a certes l’échine souple, son métier est de plier pour subvertir, de donner pour obtenir. C’est le lot du diplomate d’être roseau dans la roseraie, mais encore faut-il à ce roseau une ambassade, une mission claire : si tel n’est pas le cas, il ploie en vain, sa force devient faiblesse… et il bronche.
En France, les récents grognements de la direction ANMO (Afrique du Nord et du Moyen-Orient) d’un Quai d’Orsay, privé en septembre 2022 par Emmanuel Macron de ses prérogatives professionnelles, marquent son refus d’être écartelé par une stratégie de cabinet qui semble s’improviser à chaque rencontre au sommet. À la stupéfaction générale et à la plus grande indifférence de gouvernements que les changements de pied d’une France devenue « illisible », tentant de renouer avec la tierce voie d’antan anéantie par Sarkozy le terrible, ont de longtemps lassés.
Qu’on en juge : un président – fédérateur « inspiré », le 24 octobre dernier, de nations arabes dont aucune n’entend au fond se porter au secours de la Palestine otage d’un Hamas certes honni, mais craint par ses gouvernants, Qatar à part, et contempteur d’un Israël accusé de crimes de guerre le 10 novembre sur la BBC, au lendemain d’une conférence humanitaire infructueuse annoncée six jours avant sa tenue – le Président de la République française, donc, n’en est pas moins perçu par la rue arabe comme… un zélote atlantiste féal d’Israël.
Au point de se voir déconseiller de participer à la marche contre l’antisémitisme du 12 novembre. Les efforts diplomatiques ne paient jamais quand ils procèdent d’une raison qui évolue… en fonction de l’interlocuteur et des circonstances.
L’on objectera la question des otages, qui contraint la France au double ménagement du point de vue palestinien et de puissances régionales qui rechignent à aider de facto ceux qui, à Gaza, sont susceptibles de contrarier leur ordre intérieur précaire. Ici encore, quoi qu’on en pense, s’aliéner à la fois Israël et le camp occidental pour un profit nul dès lors que l’opinion internationale lui associe sans détailler notre pays, c’est peut-être perdre sur tous les terrains.
Dès lors que faire ? Ma foi, ce qu’un diplomate sait faire : ployer discrètement pour mesurer souplesses et rigidités d’autrui et envisager, par exemple, les paramètres de politiques intérieures locales qu’ignore souvent Paris l’arrogant.
Si l’heure est à la diplomatie, en somme. Qu’on la laisse opérer, faire son métier. Une diplomatie dont les déclarations d’Anne-Claire Legendre, porte-parole du Quai d’Orsay, le 16 novembre dernier, ont illustré les vertus analytiques et une mécanique géopolitique héritée de la mise en cause des empires d’autrefois. Ce qui n’empêche pas d’être clair.
D’abord, en condamnant fermement la frappe israélienne sur l’hôpital militaire jordanien à Gaza. Puis en rappelant « à tous »que le droit international humanitaire « prévoit tout particulièrement la protection des infrastructures hospitalières et impose en tout temps et en tous lieux des principes clairs de distinction, de nécessité, de proportionnalité et de précaution ».
Langage diplomatique où chaque mot est mesuré, pesé, à l’ancienne. Trop sophistiqué ? Sans doute. Mais bien mieux qu’une improvisation donquichottesque, même marquée du sceau présidentiel, qui se révèle parfois – Sire! – dangereuse.
Par Emmanuel Tugny, ex-diplomate et écrivain