Madison Square Garden : la nausée

par Boris Enet |  publié le 28/10/2024

Saillies racistes sous le coup de la loi en Europe, attaques ad hominem infamantes, hystérie collective devant des « humoristes » à la sauce Dieudonné. Malgré le décalage horaire, difficile de s’endormir.

Donald Trump au meeting de Madison Square Garden à New York, le 27 octobre 2024. (Photo d'Angela Weiss/ AFP)

Pour un européen bon teint, simplement attaché à la démocratie parlementaire, s’imposer le meeting trumpiste via Fox News remémorait une lecture de jeunesse, celle de Victor Serge, militant communiste antistalinien, de retour des auberges de jeunesse allemandes en 1933.

Cette nuit, rien sur l’inflation ayant impacté une partie des classes moyennes, pas davantage sur la dégradation climatique qui mobilise une autre Amérique. La politique étrangère du Proche au Moyen-Orient, en passant par l’Ukraine, est mentionnée en moins de trois minutes montre en main, pour indiquer que la rivale démocrate conduirait le monde à une troisième guerre mondiale, sans que l’on puisse en retracer le cheminement.

Il est vrai que la thématique du meeting au Madison de New York portait sur l’immigration : « invasion », « criminels », « détritus » en boucle durant près de deux heures devant un parterre comblé. Une assistance, blanche et socialement composite, probablement plus effrayante encore que les pitreries du sinistre clown, enchaînant les imitations de ses adversaires ou supposés tels, entre deux gorgées d’eau, des grimaces truculentes et un discours décousu dont le seul fil est la mégalomanie du bonhomme.

Les plans larges de la foule sur les visages, casquettes rouges vissées sur la tête, relèvent d’une jouissance intime et collective dès qu’il s’agit d’une énième injure à l’égard des étrangers. Cette hystérisation des foules fascine incontestablement si l’on y ajoute l’utilisation de vidéos soigneusement coupées, dans une ambiance digne du roman d’Orwell, 1984.

Dans l’étude du phénomène Trump depuis une décennie, les sociologues cherchent des éléments de rationalité. Il s’agirait d’une perte de confiance dans les élites politiques, que les stars d’Hollywood dans leur soutien à Kamala Harris, ne feraient qu’accentuer. Soit. On négligerait la fracture de la mondialisation et sa facture pour une partie des citoyens de la rust belt et des secteurs les moins innovants. Certainement. Cela suffirait-il à appréhender la nature d’un tel effondrement démocratique en l’espace d’une génération ?

La fascination pour le vide ne séduit pas seulement le « beauf » moyen texan, ou l’intégriste presbytérien la bible à la main du soir au matin. En témoignent, l’excitation du plateau de Fox News et la teneur proprement irrationnelle des propos de ces gens de bonne famille, à côté duquel Pascal Praud passerait pour un intellectuel de haute tenue.

En réalité, le péril démocratique, s’il relève des maux sociaux, de la fracture éducative souvent reléguée ou des débats économiques recoupant la hantise de l’avenir, possède désormais une dimension psychiatrique de masse annihilant toute forme de rationalité.

Un abaissement des frontières de la morale, une usurpation consentie de la démocratie, une fascination morbide pour la brutalité, abaissant les figures d’autorités pour cracher sur les « sachants ».

Un combiné nauséeux entre le totalitarisme fascisant et l’hystérisation cynique de la révolution culturelle maoïste dont on voudrait être certain qu’il ne franchisse l’Atlantique.

Au moins, doit-on en prendre la juste mesure.

Boris Enet