Mafia : du vent dans les voiles
Finis les meurtres sanglants pour la Cosa Nostra. Place aux business avec une prédilection pour les énergies alternatives. La mafia met la main sur l’éolien
Un an après l’arrestation Matteo Messina Denaro (MMD) « capo di tutti capi » autrement dit, le chef des chefs de la mafia, les interrogations sur son éventuel successeur à la tête de l’« organisation » persistent. Un vrai casse-tête. Car si Denaro était sûrement le parrain le plus qualifié pour gouverner Cosa nostra, il n’avait jamais été formellement élu à cette charge comme l’exige la tradition. La « Commission » n’avait pas été capable de se réunir une seule fois après l’arrestation en 1993 de son prédécesseur, le parrain des parrains, Totò Riina.
La situation n’ayant pas réellement évolué depuis, le mystère reste total quant au nom du possible successeur. Beaucoup moins en revanche pour ce qui regarde son évangile politique. Il se résume à l’abandon de plus en plus net des pratiques sanglantes au profit d’un entrisme très réfléchi dans l’économie légale. Avec une cible privilégiée, où MMD s’est montré un maitre : l’éolien. La Direction Nationale Antimafia (DNA) a révélé cette mainmise dans un rapport de 2013 consacré à la Sicile.
Ce document révélait que sur 390 communes de l’ile, 173 ont une « cosca » mafieuse active, soit une « famille » et une « communauté ». Or les installations d’éoliennes sont dans 51 % des cas concentrées dans ces municipalités-là. L’investisseur « numero uno » est Matteo Messina Denaro. Son capital est alors estimé à 4 milliards d’euros.
L’enquête s’est aussi intéressée aux modalités de cette emprise systématique sur l’éolien qui s’étend progressivement à d’autres secteurs d’activités. Les opérations sont gérées par des chefs d’entreprise au casier judiciaire vierge. Ils sont assistés d’une armée de courtiers multilingues affublés de sobres costumes croisés et d’ordinateurs portables à portée de main 24 heures sur 24. L’argent du recyclage joue un rôle majeur dans les investissements.
La collusion entre clans mafieux, hommes d’affaires et élus locaux est patente. Au bout du parcours, l’opération finale est confiée à des entreprises satellites. Ce qui n’empêche pas les imprudences. Ainsi un ami de MMD, surnommé le « roi de l’éolien », un certain Vito Nicastri, a été condamné à 9 ans de prison, et s’est vu confisquer 1,3 milliard d’euros par le parquet de Palerme.
Un célèbre criminologue, le « Professore » Vincenzo Musacchio, a expliqué que la Cosa nostra n’est plus aujourd’hui celle des assassinats, mais des « appels d’offre, de l’investissement dans la finance globale, les banques et les entreprises, le secteur de la santé, le bâtiment et la gestion des déchets ». Ce diagnostic, valable au niveau national, cache un objectif inquiétant : « influencer sérieusement les choix et les décisions du monde politique et économique ».
On pourrait se féliciter de l’abandon par la mafia des crimes de sang. Mais on doit sérieusement s’alarmer, de ce que ses pratiques d’influence, de pressions, d’extorsions, polluent le marché et altère profondément le libre jeu de la concurrence sinon les principes mêmes du libéralisme économique.