Mafia en Italie : mort d’un parrain pas comme les autres

par Marcelle Padovani |  publié le 26/09/2023

Matteo Messina Denaro, 61 ans, dit « le maigre » ,était le dernier boss de Cosa nostra. Riche et violent, bien sûr, mais aussi célibataire et athée, séducteur et amateur de femmes, de littérature et d’économie moderne…

Capturé en janvier après 30 ans de cavale, le célèbre chef de la mafia sicilienne Matteo Messina Denaro est décédé à l'hôpital le 25 septembre 2023 - Photo Italian carabinieri press office / AFP

Il n’avait jamais été officiellement adoubé. Depuis la vague d’arrestations de 1993, la célèbre mafia sicilienne n’était plus parvenue à désigner un successeur légitime. Conséquence : Matteo Messina Denaro, qu’on appelait MMD, jouait les grands chefs, mais de façon quasi clandestine. Atypique.

En cavale depuis 30 ans, condamné à trois perpétuités, dont une pour sa participation à l’assassinat le 23 mai 1992 du juge Falcone, le mafieux italien avait été pincé par les carabiniers le 16 janvier dernier dans le hall d’un hôpital anticancéreux de Palerme.

Bien que clandestin, il menait une vie luxueuse de riche célibataire, mince et grand séducteur, exhibant ses montres Patek, ses sacs Vuitton et ses voitures de sport. En contradiction totale avec les mœurs mafieuses traditionnelles qui sont strictes : la richesse, oui, la violence bien sûr, mais l’infidélité et le luxe, non !

Avec lui, on peut jeter à la poubelle tous les clichés de la saga sicilienne de Don Corleone. Atypique, MMD l’était aussi du point de vue religieux. Ce mécréant ne fréquentait ni les prêtres, ni les églises, ni les fêtes patronales. Il s’était même déclaré récemment… athée, exigeant un futur enterrement laïc.

Atypique, il l’était également sur le terrain culturel. Ce Sicilien originaire de la province de Trapani, à l’ouest de l’île, était un grand lecteur de romans et de textes philosophiques, spécialement français. Il pouvait citer… Descartes, Sartre ou Michel Foucault.

Mais sa plus grande et décisive originalité aura été de fonder une nouvelle mafia, dite «économique » . Loin des attentats à la mitraillette, des pendaisons ou des corps coulés dans le béton ou dissous dans l’acide, il a été capable de tirer les leçons de l’efficacité répressive de l’unité antimafia. Le nombre de cadavres en Sicile est passé de 100 en 1981 à 4 en 2022. Une misère ! On est très loin des méthodes de l’ancien parrain, Toto Rina, surnommé « le boucher », qui ne connaissait de la littérature que le jeu des cadavres exquis.

 MMD, lui, a su passer surtout de l’autre côté de la barrière en s’insérant dans l’économie légale, dans le marché capitaliste tel qu’il est et de préférer les conseils d’administration aux conciliabules clandestins. Un homme d’affaires inventif qui a su développer les investissements productifs dans les supermarchés de la région de Trapani et dans le secteur des éoliennes. Sorte de de mafia version développement durable

Conclusion de Giovanni Melillo, le patron de l’Antimafia :  « La mafia a toujours eu une longueur d’avance sur nous. Elle vient d’inventer la mafia économique. Ce défi souterrain est encore difficile à contrecarrer, mais nous apprenons à l’affronter. Avec d’autres moyens que la répression policière évidemment » .

Marcelle Padovani

Correspondante à Rome