Le président, le marigot et les crocodiles

par Valérie Lecasble |  publié le 08/09/2023

Edouard Philippe, Jean Castex, Bruno Lemaire, Gérald Darmanin,… Emmanuel Macron se trouve aujourd’hui cerné par ceux qui furent ses meilleurs alliés

(FILES) France's President Emmanuel Macron (R) and France's Interior Minister Gerald Darmanin listen to a participant as they attend a public meeting with residents in a gymnasium in La Busserine area during a visit to Marseille, southeastern Framce, on June 26, 2023. Darmanin is testing the waters for a crack at the French presidency in 2027, with a stark warning that far-right figurehead Marine Le Pen risks taking the Elysee if the wrong candidate stands. (Photo by LUDOVIC MARIN / POOL / AFP)

Dieu qu’ils sont nombreux ! Sous la Vème République, chercher à devenir Président de la République quand on est Premier ministre est un mantra. Parmi les vingt-trois nommés à Matignon depuis 1958, deux ont réussi. Georges Pompidou qui succède au Général de Gaulle dès 1969. Et Jacques Chirac qui accède à l’Élysée vingt ans après sa démission fracassante pour cause de désaccord avec Valéry Giscard d’Estaing. Huit ont tenté leur chance sans succès : Chaban-Delmas, Raymond Barre, Fabius, Balladur, Juppé, Jospin, Fillon, et Valls. Dix autres ont renoncé. Trois sont actuellement en embuscade.

Pour remplacer Emmanuel Macron en 2027, deux anciens Premiers ministres sont ostensiblement en campagne. On cite Jean Castex loin derrière Edouard Philippe qui, depuis sa mairie du Havre, construit méthodiquement ses réseaux et son programme et fait la course loin en tête. Celui dont l’art de prendre du recul est devenu proverbial s’est ainsi fait remarquer durant les six mois de contestation de la réforme des retraites pour n’avoir apporté… aucun soutien au projet.

Ainsi va la vie en politique : celui qui accède au pouvoir n’a de cesse de se hisser plus haut. Dans le marigot s’affrontent les crocodiles… Ce qui est nouveau en Macronie, c’est la multiplication des ambitions. Avant, il fallait justifier d’une vraie carrière politique pour prétendre devenir Président de la République. Depuis qu’Emmanuel Macron a opéré le casse du siècle en remportant la présidentielle de 2017, il a donné l’illusion que tout est devenu possible.

Voici donc plusieurs de ses alliés sur les rangs pour le remplacer. D’abord, son ministre de l’Économie, Bruno Lemaire, candidat aux primaires de la droite en 2017 revendique ouvertement ses ambitions pour 2027. Tandis que Macron signe des chèques pour acheter la paix sociale et provoque une hausse de 10 % des dépenses publiques cette année, Lemaire, décidé à se démarquer en prônant la vertu budgétaire, sonne le désendettement de la France et exige un recul des dépenses de 5 % en 2024. Un coup d’arrêt à la politique sociale du Président.

Gérald Darmanin, l’impétueux ministre de l’Intérieur n’hésite pas, lui, à faire dans la provocation. Furieux de ne pas avoir été nommé Premier ministre à la place d’Élisabeth Borne – la seule à ne pas rêver de l’Élysée  –  le 14 juillet ainsi qu’il l’espérait, Gérald Darmanin montre les poings dès la fin de l’été et prend,seul, l’initiative de convier ses soutiens pour une rentrée politique à Tourcoing. Une démonstration de force pas loin de rappeler celle d’un certain Emmanuel Macron en 2016…

Plus jeunes et moins dégrossis, Clément Beaune ou Gabriel Attal n’osent pas encore prendre autant de libertés. Quoique… Beaune s’est prononcé en faveur de la GPA (gestation pour autrui), mesure que Macron a publiquement exclue de son programme. Et si Attal joue pour l’instant les écoliers appliqués en apprentissage de son nouveau job de ministre de l’Éducation, gageons qu’il saura s’émanciper le moment voulu.

L’ironie de l’histoire est que sans Emmanuel Macron, aucun de ceux parmi ses proches qui pourraient briguer sa succession – Edouard Philippe, Jean Castex, Bruno Lemaire, Gérald Darmanin, voire Clément Beaune et Gabriel Attal – ne serait connu. Pas plus que lui-même ne l’aurait été sans un certain François Hollande.

Emmanuel Macron sait donc tout cela très bien lui qui entouré de ministres au portefeuille en peau de crocodile, la politique est ainsi faite que quand le chef est empêché de se représenter, la porte s’ouvre à toutes les trahisons . Pardon! En politique on dit « ambitions personnelles » . Le seul domaine marécageux à souhait où la règle veut que l’on dévore tout cru celui qui vous a fait tout petit. 

Valérie Lecasble

Editorialiste politique