Marcus Wolf, le maître-espion communiste qui a fini par douter (fin)

par Pierre Feydel |  publié le 05/04/2024

Cette extraordinaire légende du renseignement a fini par s’interroger sur le régime communiste. Et pencher pour Gorbatchev

L'ancien chef des services secrets est-allemands, Markus Wolf, également connu sous le nom de L'Homme sans visage, à la foire du livre de Francfort en 1991. Photographie : Boris Roessler/EPA

Dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933, Frederick Wolf, médecin juif et communiste dans le Bade-Wurtemberg décide de quitter l’Allemagne avec sa femme et ses deux fils, l’aîné Markus et le cadet Konrad. La famille gagne la Suisse, la France et enfin l’Union soviétique. Là, Markus va faire ses classes d’officier du renseignement à l’école du Komintern où se forment les agents de Moscou.. Misha va d’abord travailler pour les services de propagande de l’Armée rouge.

En1945, il a 22 ans, il revient en Allemagne et suit le procès de Nuremberg comme journaliste est-allemand. Rapidement, il participe à la création du service de renseignement extérieur de la République démocratique allemande, la RDA. Treize ans plus tard, cet homme brillant a pris la tête du HVA, le département espionnage de la Stasi, la police politique du régime.

Le colonel général — le plus haut grade en Allemagne de l’Est–Wolf va faire merveille. Il dirige 3 000 agents. Son travail est largement orienté vers l’espionnage de l’Allemagne de l’Ouest. Il va sur le terrain, voyage, mais personne n’arrive à l’identifier. À l’ouest, on le surnomme « l’homme sans visage ». Ceux qui le combattent n’ont de lui qu’une vague photo qui date du procès de Nuremberg.

Grand inventeur de farces et attrapes en tout genre, le maître-espion sait manipuler, corrompre. Par exemple, il envoie de séduisants personnages séduire les secrétaires des ministres ouest-allemands. Ces « Roméo » font des ravages. Mais surtout, il place des agents au plus haut niveau de décision occidental. Il recrute Rainer Rupp « Topaz », fonctionnaire au QG de l’OTAN pendant 25 ans arrêté en 1953.

Le plus beau coup de Mischa est certainement la présence d’un de ses agents, Gunther Guillaume, aux côtés du chancelier allemand Willy Brandt dont il est le plus proche conseiller. Sauf que lorsque l’espion est découvert, le leader social-démocrate, inventeur de l’« Ostpolitik », qui prône le rapprochement des deux Allemagne est contraint de démissionner, Wolf comprend alors que son exploit est devenu un grave échec politique.

Ses maîtres ne vont pourtant pas lui en tenir rigueur. Il est devenu une légende redoutée des « ennemis du socialisme » et une gloire de l’État communiste. Mais en 1986, il publie « Troïka » avec son frère Konrad devenu cinéaste. Il y raconte sa vie à Moscou dans les années 30. Ces mémoires sont peu aimables pour le régime stalinien. Il penche clairement pour Gorbatchev et prend sa retraite.

Cette attitude l’amène à s’opposer à Honecker, intransigeant leader de la RDA dont il favorise la chute. Lorsque le mur tombe, il fuit en URSS. Les tribunaux de la RFA le condamnent à des peines de prison. Plus tard, il recevra chez lui les chefs des services qu’il a combattu, pour des barbecues amicaux entre retraités où l’on égrène les vieux souvenirs. Et comme Mischa ne manque pas d’humour, il publiera en 1997 un livre de cuisine « Les secrets de la cuisine russe. » Il s’éteint en 2006.

Pierre Feydel

Journaliste et chronique Histoire