Marine Le Pen dans « l’arc républicain » ?

par Laurent Joffrin |  publié le 20/02/2024

Le RN fait beaucoup d’efforts pour se « normaliser », par exemple en rendant lui aussi hommage à Issak Manouchian. Cela ne veut pas dire qu’il a désormais adhéré aux principes républicains. Démonstration.

Laurent Joffrin

La venue de Marine Le Pen à la cérémonie en l’honneur de Missak et Mélinée Manouchian, résistants de la FTP-MOI et les polémiques qu’elle suscite posent de nouveau une ancienne question : le Rassemblement national est-il un parti comme les autres ? Fait-il partie de ce qu’on nomme désormais « l’arc républicain » ?

On peut voir le côté positif de la chose : ainsi le RN, hériter d’un parti fondé par des pétainistes notoires, juge nécessaire de s’incliner, lui, le parti xénophobe, résolument hostile à l’immigration, devant la dépouille d’un immigré arménien sans-papiers, qui fut l’un des héros de la lutte contre l’envahisseur nazi, un « Français de préférence » qui a mérité, au premier chef, la qualité de patriote et de citoyen de la République française.

Mais justement, dit-on, cet hommage hypocrite n’a qu’un seul but : faire oublier la vraie nature du RN, dans une stratégie assumée de « normalisation » grossière et trompeuse. Ce qui pose bien la question initiale : le RN est-il un parti républicain ? Il y a d’abord, à cette interrogation, de fausses réponses. Le RN est un parti légal, disent certains, représenté au Parlement, bénéficiant de surcroît du soutien de millions d’électeurs : il est donc républicain, puisqu’il respecte les lois de la République et que son interdiction n’est en rien à l’ordre du jour. « L’arc républicain, dit Gabriel Attal, c’est l’hémicycle ».

Brevet de républicanisme

Erreur, évidemment. Le fait de se couler dans les institutions de la République ne vaut pas brevet de républicanisme. Il y eut longtemps au Parlement français des partis ouvertement antirépublicains, qui prônaient le renversement du régime et souhaitaient voir s’instaurer un autre système. Ainsi les monarchistes au début de la IIIème République, qui réclamaient ouvertement la restauration d’une monarchie. Ainsi certains partis d’extrême-droite dans les années trente (très minoritaires, certes) qui souhaitaient l’avènement d’un régime autoritaire et ne cessaient de donner en exemple les fascismes européens. Pendant la guerre froide, le Parti communiste, tout à fait légalement, prenait pour modèle la dictature stalinienne de parti unique, incompatible avec les libertés républicaines et les traditions démocratiques. Aux débuts du Front national, le parti comptait dans sa direction des responsables notoirement antisémites, anciens de la collaboration, nostalgiques de l’Algérie française et très compréhensifs avec les tentatives de coup de force perpétrés par l’armée en Algérie. Pourtant le parti siégeait à l’Assemblée et respectait les formes légales de la République.

Il ne suffit donc pas, pour prétendre à la qualité de républicain, d’avoir des élus et de respecter la loi. Il faut aussi présenter un programme, tenir des discours compatibles avec les valeurs républicaines. Mais justement, dira-t-on encore, le RN a changé ! La fille a répudié l’antisémitisme du père, elle a raboté son programme, elle ne cesse par son comportement, de donner des signes tangibles de son adhésion aux pratiques républicaines, rendant hommage à Robert Badinter, se séparant de certains programmes de l’extrême-droite européenne, contredisant Zemmour sur l’idée d’un « grand remplacement », se rendant, en dépit des critiques, à la cérémonie du Panthéon pour Manouchian, etc.

Deux exemples

C’est tout à fait exact, et positif en un sens. Est-ce suffisant ? Prenons deux exemples. Avant le déclenchement de la guerre en Ukraine, Marine Le Pen, à diverses reprises à proclamé son « admiration » pour Vladimir Poutine. Elle a refusé de voter les résolutions du Parlement européen en faveur d’Alexei Navalny persécuté par le pouvoir russe, toutes positions seulement mises en veilleuse par l’agression militaire russe en Ukraine. Est-ce digne d’un parti démocratique aux valeurs conformes à celles de la République ? Certainement pas.

De la même manière, le RN exige dans son programme la suppression totale du « droit du sol ». Or cette disposition d’accueil des enfants d’étrangers, au fil du temps, et comme le rappelle Patrick Weil, spécialiste de la nationalité, est devenue en France une solide tradition républicaine, que Marine Le Pen entend balayer purement et simplement. De même l’instauration d’une « préférence nationale » pour certaines prestations sociales, ou encore la rupture avec les conventions internationales définissant les droits de étrangers, pourtant acceptées depuis des lustres par la République française. La conclusion est limpide : le RN a émoussé quelque peu son discours et son programme. Mais il n’a en rien renoncé à faire passer son obsession identitaire et nationaliste devant le droit des gens : rien de plus antirépublicain.

Laurent Joffrin