Marine Le Pen et la loi

publié le 19/11/2024

S’il y a un scandale démocratique, c’est celui de jeter l’opprobre sur notre système de justice, pour tenter de le rendre suspect aux yeux des Français.

PAR JEAN-PHILIPPE DEROSIER (*)

Marine le Pen arrive au palais de justice pénale de Paris pour son procès pour soupçons de détournement de fonds publics européens, à Paris, le 18 novembre 2024. (Photo de Grégoire CAMPIONE / AFP)

« Soutenez Marine ! Défendez la démocratie ! » Telle est la pétition lancée par l’extrême droite pour venir au secours de Marine Le Pen, que des faits accablants promettent à une condamnation probable.

Fréquemment, le tribunal de l’opinion condamne avant même que le tribunal judiciaire ne puisse se prononcer. Voici qu’aujourd’hui, alors que le tribunal correctionnel remplit son office, comme la loi l’y oblige, l’opinion est appelée à la rescousse : il y aurait scandale démocratique, car un procureur a demandé l’application de la loi à l’égard d’une candidate putative de la prochaine élection présidentielle, par ailleurs deux fois qualifiée au second tour des deux précédents scrutins. Ce procureur viendrait ainsi priver les Français de la possibilité de faire un choix démocratique.

Quelques rappels s’imposent. D’abord, à ce jour, Marine Le Pen n’est pas condamnée. Si elle devait l’être, ce ne serait qu’au terme d’un délibéré et d’un jugement, rendu non par le procureur, mais par des juges. Le procureur, quant à lui, s’est borné, comme il en a le devoir, à prendre des réquisitions. Seuls les magistrats du siège prononceront la peine, en toute indépendance (et, ajoutons, en toute impartialité) vis-à-vis des réquisitions du procureur, par lesquelles ils ne sont pas tenus.

Ensuite, dans ses réquisitions, le procureur est encadré par la loi. D’une part, l’article 31 du code de procédure pénale prévoit que « Le ministère public exerce l’action publique et requiert l’application de la loi, dans le respect du principe d’impartialité auquel il est tenu ». D’autre part, l’article 458 du même code lui impose de prendre ses réquisitions « au nom de la loi ». Ajoutons, enfin, que l’article 30 de ce code donne compétence au ministre de la Justice pour adresser « aux magistrats du ministère public des instructions générales », afin de définir la politique pénale. Mais il « ne peut leur adresser aucune instruction dans des affaires individuelles », selon cette même disposition.

En d’autres termes, lorsque le procureur prend ses réquisitions, il demande simplement que la loi soit appliquée, au regard des circonstances de l’espèce, en demeurant impartial. Si son action devait dépasser ce cadre légal, il pourrait alors être sanctionné et, dans ce cas. Il appartiendra à quiconque l’estime fondé de saisir le Conseil supérieur de la magistrature en ce sens.
Par conséquent, à ce jour, un procureur a demandé l’application de la loi, ainsi que la loi non seulement le lui permet, mais l’y oblige. C’est en ne tirant pas les conséquences des faits établis qu’il ferait violence à notre droit. Soutenir qu’il priverait les Français de la possibilité de faire un choix démocratique est donc faux.

De surcroît, s’il appartient aux électeurs de choisir leur Président de la République, ce n’est pas à eux que revient la possibilité de désigner les candidats à l’élection présidentielle. Les règles de candidature sont précisées par la loi, laquelle impose, en particulier, d’être éligible.

Or la loi, toujours, prévoit que, pour certains délits, une peine complémentaire d’inéligibilité doit être prononcée, sauf à ce que le tribunal en décide autrement, en motivant spécifiquement sa décision. Cette complémentarité directe résulte d’une réforme votée en 2016 (la fameuse loi « Sapin 2 »), sur laquelle, d’ailleurs, les deux députés d’extrême droite de l’époque, Gilbert Collard et Marion Maréchal-Le Pen, s’étaient abstenus en première lecture. On ne peut soutenir qu’il s’agirait d’une peine « automatique », puisque, précisément, le juge peut décider de ne pas la prononcer, à condition de justifier sa décision. Ce serait parfaitement possible en l’espèce, mais encore faut-il que le juge dispose des éléments de justification nécessaires : selon le procureur, ils font défaut. Mais seul le juge décidera.

Enfin, cette réforme introduisant la complémentarité directe de la peine d’inéligibilité était motivée par la volonté de renforcer la lutte contre la corruption, ainsi que l’exemplarité des décideurs, notamment les décideurs publics, dont les élus. Ce sont autant d’objectifs qui constituent des arguments récurrents dans les discours de l’extrême droite. Marine Le Pen écrivait elle-même en 2012 que « l’arme de l’inéligibilité devra être utilisé avec beaucoup plus de rigueur ». Ce fut l’objet de la réforme de 2016, dont elle devrait pourtant se satisfaire… sauf pour elle-même, semble-t-il.

La situation est donc claire. Un procureur a demandé l’application de la loi, démocratiquement votée par le Parlement, au cas d’espèce, ainsi que la loi, toujours aussi démocratiquement votée par le Parlement, le lui impose. Des juges, dont la loi et la Constitution préservent l’indépendance et l’impartialité, rendront une décision. Cette dernière le sera « au nom du peuple français », dans le respect de nos principes démocratiques.

Par conséquent, s’il y a bien un scandale démocratique, c’est incontestablement celui de jeter l’opprobre sur notre système de justice, pour tenter de le rendre suspect aux yeux des Français. Il est sans doute toujours perfectible, mais il existe pour le bien de tous. La justice est garante de l’État de droit, sur lequel elle veille. Les juges s’appuient d’abord sur des faits, puis sur la loi pour rendre la justice. C’est précisément ce qui en garantit l’indépendance, l’impartialité et l’efficacité et nous préserve d’une justice arbitraire ou politique. Soutenir la démocratie revient ainsi à soutenir les juges dans leur office et à prôner l’application de la loi.

(*) Professeur de Droit, auteur du blog La Constitution décodée.