Marine Le Pen, l’illibérale
La leader du Rassemblement National délaisse la dédiabolisation de son parti pour partir en guerre contre l’état de droit, tandis que Bardella rameute Philippe de Villiers, Marion Maréchal et Eric Zemmour. L’extrême-droite française sombre officiellement dans l’illibéralisme.

Les troupes du Rassemblement National n’ont pas fait le déplacement, seulement quelques milliers de militants franciliens, autant dire une poignée comparée aux 13 millions d’électeurs que le parti revendique. Cela n’a pas empêché Marine Le Pen de prononcer dimanche 6 avril place Vauban un discours de combat après que son dauphin Jordan Bardella a confirmé qu’il n’y aurait pas de plan B tant qu’il y aurait un plan A, ce qui revient à maintenir la candidature de Marine Le Pen à l’élection présidentielle à minima jusqu’à son jugement en appel à l’été 2026. Une mise au point indispensable alors que sondage après sondage, Jordan Bardella caracole en tête au même niveau qu’elle, entre 31 et 35,5%.
À circonstances exceptionnelles, attitude exceptionnelle : dans cette course à la présidentielle où il soutiendra donc Marine Le Pen, Bardella laisse les vieilles rancunes du RN au vestiaire pour appeler à ses côtés son ex-adversaire aux élections européennes Marion Maréchal, celui de la présidentielle Eric Zemmour, et même l’indéboulonnable Philippe de Villiers.
Tous unis donc pour soutenir celle qui, l’ambiguïté Bardella levée, réapparaît comme la seule cheffe du Rassemblement National dans la bonne tradition que son père lui a léguée. Avouant son « émotion », Marine Le Pen lance d’emblée une charge violente contre les juges coupables, selon elle, d’avoir en la condamnant, « bafoué l’Etat de droit et de démocratie ».
« Je ne lâcherai rien (…), tant auraient renoncé à notre place » s’exalte celle qui accuse les magistrats d’avoir foulé tout à la fois « son peuple, son pays et son honneur ».
Dans son discours, elle oppose la volonté du peuple à celle des juges auxquels elle dénie toute forme de légitimité. Leur décision n’a rien à voir avec le droit, seulement avec la politique assure-t-elle dénonçant « le jeu pervers de persécution des opposants, de criminalisation des adversaires, la volonté de ruiner les partis d’opposition avec un seul objectif : garder le pouvoir alors que l’on mène le pays au chaos ». Dans sa cible, les magistrats, pour elle forcément de gauche, qui auraient entravé la victoire annoncée de François Fillon lors de la présidentielle avant de saboter aujourd’hui le bilan des années Sarkozy.
La lionne est sortie de sa cage. Condamnée à cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire, Marine Le Pen jette aux orties des années de stratégie politique passées à dédiaboliser le Rassemblement national dans une tentative de crever le plafond de verre qui l’empêche d’accéder au pouvoir. Elle montre le vrai visage d’une extrême-droite en lutte contre l’état de droit sur le pire modèle de l’illibéralisme qui a gagné chez ceux qui la soutiennent : Trump, Orban, Bolsonaro, Salvini et… Poutine.
Cette internationale de l’illibéralisme qui a en commun de bafouer l’Etat de droit pour faire appel au peuple, sort ses poings en France. Le vernis de la banalisation du RN laisse la place à la réalité d’une attaque en règle contre les juges, ceux-là même qui, à en croire Marine Le Pen, aspireraient à diriger le pays : « ce ne sont pas aux juges de désigner les candidats à l’élection présidentielle ».
En globalisant le débat, en citant son ami Salvini, elle le politise au-delà de son cas personnel. Or depuis sa condamnation, seuls les socialistes par la voix de François Hollande, Boris Vallaud et Olivier Faure, ont soutenu clairement le verdict des juges dans sa totalité. Le reste de la classe politique, de Jean-Luc Mélenchon à Bruno Retailleau s’est ému de concert que les juges enlèvent aux électeurs leur candidate favorite.
La stratégie de victimisation de Marine Le Pen, qui ose comparer son sort à celui de Martin Luther King après que Trump l’a dite « emprisonnée », est un poison lent qui conduit à renverser la charge de la preuve : à l’état de droit désormais de prouver sa légitimité et au peuple de prendre le pouvoir. Comme pour donner raison à Raphaël Glucksmann qui pointe la nécessité convergente de combattre les ennemis de l’extérieur et ceux de l’intérieur car ils portent les mêmes valeurs. Qu’importe leur nombre, la radicalité débridée des manifestants de la place Vauban sonne comme un avertissement : le RN n’a plus rien à envier à l’illibéralisme de l’internationale des dictateurs.