Marseille : Delogu contre la gauche

par Valérie Lecasble |  publié le 08/11/2024

La rumeur insistante d’une candidature de Sébastien Delogu, le gros bras de La France Insoumise, face au maire ex-socialiste Benoît Payan, met à mal la stratégie du Nouveau Front Populaire.

Sébastien Delogu, député LFI lors d'une manifestation à Marseille, le 2 juin 2024, en soutien à la Palestine. (Photo by Stéphane FERRER / Hans Lucas via AFP)

Jean-Luc Mélenchon aime bien Sébastien Delogu : tel Pygmalion, ou tel Frankenstein, c’est qui qui l’a fait. Venu du bas, le député de Marseille n’a peur de rien et s’est hissé jusqu’au Parlement à la force du poignet. Une mère algérienne et espagnole, responsable syndicale de la CGT des Bouches-du- Rhône, un père chauffeur de taxi, mi arménien, mi-italien, il grandit dans les quartiers nord de Marseille. Il étudie dans un lycée professionnel, devient agent de sécurité. Expulsé de son appartement, il vit un temps comme SDF dans sa voiture, avant de faire le taxi comme son père. Neuf ans plus tard, il se mobilise contre l’arrivée d’Uber dans sa ville et devient le porte-parole radical de la grève des taxis marseillais. À Paris, il rencontre Danielle Simonnet, membre de La France Insoumise ; il adhère dans la foulée en 2017.

Quel meilleur moyen qu’un taxi pour arpenter la ville jour et nuit, en connaître les moindres coins et les recoins ? Marseille n’a pas de secrets pour Sébastien Delogu, même s’il s’est fait verbaliser en août dernier, pour avoir roulé à contresens sur une voie de bus. Quand Jean-Luc Mélenchon se présente dans la 4ème circonscription des Bouches-du-Rhône aux élections législatives de 2017, Sébastien Delogu lui offre ses services bénévoles de chauffeur et de garde du corps.

Entre les deux hommes, le courant passe, Jean-Luc Mélenchon croit en ses capacités. Le leader de LFI forme son poulain à faire le show, à manier le bruit et la fureur, à pratiquer la vocifération pour se faire connaître et à la victimisation pour se faire apprécier. La méthode fonctionne. Delogu est élu député LFI-Nupes en 2022 dans les quartiers nord de Marseille avec 64,68% des voix. Bon élève du mélenchonisme, il multiplie les provocations dans l’Hémicycle, au point d’être soupçonné par certains d’être un peu bas du front, tandis que ceux qui le connaissent le voient surtout comme un militant brutal rompu aux préceptes de Jean-Luc Mélenchon.

Le fait d’armes qui l’intronise comme Insoumis de combat date du 28 mai dernier, lorsqu’il brandit le drapeau palestinien à l’Assemblée nationale pour protester contre l’absence de réaction au massacre des civils à Gaza. Il est exclu de l’hémicycle pour quinze jours et privé de la moitié de son indemnité parlementaire pour deux mois. Mais il a reçu le soutien de l’ensemble de la gauche (PS, Verts, PC et LFI) et même de Naïma Moutchou, la vice-présidente d’Horizons qui s’étonne d’une « sanction disproportionnée qui met en jeu la crédibilité de l’Assemblée en tant qu’institution ». Il a surtout acquis la notoriété qu’il recherchait et conquis ses lettres de noblesse auprès de son maître Mélenchon.

Depuis, il multiplie les provocations à l’égard du Rassemblement National. Le 18 juillet, lors du vote pour la présidence de l’Assemblée Nationale, il rabroue le benjamin RN, Flavien Termet, 22 ans, qui faisait mine de lui serrer la main, en lui lançant « T’es fada ou quoi ? T’es un fou toi ! ». Le 9 septembre, Delogu crie au harcèlement de la fachosphère lorsque des élus du RN et de LR se moquent de sa maladresse quand on le voit sur une vidéo buter sur les mots en lisant une question à Bruno Le Maire. Plus récemment, sur le plateau de BFMTV, il reproche bruyamment à Edwige Diaz, membre du RN, de lui avoir frôlé le bras…

Désormais, Sébastien Delogu est prêt. Jean-Luc Mélenchon est sûr que cette grande gueule peut irradier au-delà des quartiers nord pour conquérir le peuple marseillais. Qui d’autre que lui à Marseille pour frapper avant de discuter, aller chercher de l’argent, pénétrer les clans, s’imposer parmi les voyous, contrôler le côté obscur de la ville, dialoguer avec FO qui tient les syndicats locaux, bref mettre la panique sur la ville ? Même Manuel Bompard, numéro deux de LFI, élu lui aussi à Marseille, mais dans un secteur plus bobo, serait moins menaçant pour Benoît Payan.

La classe politique marseillaise s’inquiète : Sébastien Delogu n’a guère de chances d’être élu, mais avec le score qu’il espère, il peut négocier pour LFI des postes clé d’adjoints et mettre la main sur certains secteurs de la ville. Curieuse application de la stratégie du Nouveau Front Populaire : l’alliance n’était-elle pas censée éviter aux candidats de la gauche de s’affronter aux municipales ? Pas à Marseille en tous les cas.

Valérie Lecasble

Editorialiste politique