Marseille : le narco-pouvoir
Nous n’en sommes pas à la situation qui prévaut dans certains pays d’Amérique latine, où les trafiquants défient les États. Seulement à la première étape
Scène de la vie quotidienne dans un quartier nord de Marseille. Mathieu, gamin de 16 ans placé dans un foyer d’Eure-et-Loir, rêvait d’une vie de cinéma, entre trafic de drogue, voitures de sport et jolies filles. Comme le raconte Le Monde dans un récit saisissant, l’apprenti Scarface fugue, lit des annonces sur Tik Tok et Snapchat, et se fait embaucher dans un gang marseillais de la cité Saint-This à Marseille, comme « petite main » sur un point de deal. Arrêté par la police puis relâché, il a caché un peu de cannabis et de cocaïne, qu’il revend ensuite pour son propre compte. Mauvaise pioche : ses employeurs s’en aperçoivent. Des coups, des menaces ? Non : une nuit de torture dans un local désaffecté, ligoté à une chaise et totalement nu. Ses bourreaux lui brûlent le corps avec leurs cigarettes à quarante reprises, le frappent à coups de barres de fer et le passent à tabac. D’autre prennent le relais : cette fois on lui brûle les parties génitales au chalumeau, avant de l’abandonner en attendant sa probable exécution. Le tout au vu et au su de tout le quartier, qui vit sous la férule des trafiquants. Par miracle, aidé d’un autre gamin, Mathieu s’enfuit et dénonce ses agresseurs. Au procès qui vient de se dérouler, il n’a même pas pu les regarder dans les yeux, figé par la terreur.
Depuis le début de l’année, quarante-quatre personnes ont été tuées à Marseille et 109 blessées dans des règlements de compte entre dealers, dont plusieurs par des balles perdues, comme la jeune femme de 24 ans frappée chez elle à la cité de Saint-This.
Les points de deal rapportent chacun des centaines de milliers d’euros par mois : les guerres de territoires sont sans merci, émaillées d’exécutions en pleine rue, de sévices barbares, de dealers fautifs brûlés vifs dans des coffres de voiture.
Il n’y plus là de « sentiment d’insécurité », mais une vie infernale infligée à ces habitants des classes populaires, faite de peur, de larmes et d’humiliation. Que fait la police ? Ce qu’elle peut, qui n’est pas rien. Elle multiplie les descentes, tente de remonter les filières, cible les parrains souvent réfugiés à l’étranger. Mais elle est débordée : le nombre de procédures excède largement ses capacités de traitement. Du coup, les trafiquants tiennent le haut du pavé, confortés par cette impunité de fait. On s’étonne ensuite que la population concernée, qui doit sans cesse baisser la tête devant les narcos, exprime, comme elle le peut, un désir d’ordre et de justice.
On connaît ce processus, on l’a vu à l’oeuvre en Amérique latine : la phénoménale richesse des narcos leur procure des moyens considérables, ils corrompent les fonctionnaires et les policiers, ils règnent sur de vastes zones urbaines déshéritées où ils recrutent tueurs et vendeurs, finissant par bâtir une puissance qui défie l’État lui-même. Nous n’en sommes pas là. Seulement à la première étape…