Mathias Vicherat, le scandale de trop

par Sandrine Treiner |  publié le 14/12/2023

Atmosphère électrique à Sciences-po. Une main courante pour violences conjugales contre le directeur a suffi à déclencher un appel à la démission dans une institution traumatisée par les scandales récents. Excessif?

Le directeur français de l'Institut d'études politiques (Sciences Po) Mathias Vicherat, lors d'une conférence avec le président du Conseil européen, à l'Institut d'études politiques de Paris, le 28 mars 2022 -Photo Thomas SAMSON / AFP

Le 3 décembre dernier, Mathias Vicherat, directeur de Sciences Po et administrateur de la Fondation nationale des sciences politiques depuis novembre 2021, est placé en garde à vue. Il n’y a pas de plainte, mais une simple main courante déposée au commissariat par sa compagne ». Mathias Vicherat accuse lui-même sa compagne de violences. Le même jour, une enquête préliminaire est ouverte pour « violences conjugales ». 

Coup de tonnerre à Sciences-Po. Immédiatement, côté étudiant, on appelle à sa démission et au blocage de l’École, au nom du devoir d’exemplarité.

Dans cette école d’élite, on a connu la démission d’Olivier Duhamel en janvier 2021, accusé par Camille Kouchner d’avoir abusé de son petit frère, puis les accusations contre le directeur de Sciences-po, Frédéric Mion, accusé de l’avoir couvert. En éveil sur tous les sujets sociétaux , Sciences Po n’en est pas à sa première affaire de mœurs : cette garde à vue est, à l’évidence le scandale de trop.

Alors peu importe les protestations de Mathias Vicherat et de sa compagne elle-même sur l’étalement de leur vie privée, peu importe l’action du directeur depuis sa nomination, l’accent mis sur la diversification sociale des élèves, l’ouverture à la culture et à la création… Sciences-Po n’a pas envie d’écouter.

Vendredi 8 décembre, Mathias Vicherat propose donc sa « mise en retrait provisoire , le temps que la justice fasse son œuvre, et que les esprits se calment.

Mathias Vicherat, il le sait, joue sa carrière, jusqu’ici brillante et sans taches. Car l’homme affiche, outre son sourire, un curriculum vitae à faire pâlir d’envie. Dans la promotion Senghor de l’ENA, celle d’Emmanuel Macron, il s’affirme comme un homme de gauche, animé par des convictions. Né en 1978 aux Lilas, il est le fils d’un responsable du développement durable de la FNAC et d’une mère éducatrice spécialisée. Étudiant engagé, auprès d’Attac puis à l’UNEF, il travaille en parallèle de ses études auprès d’un certain ministre délégué à l’enseignement supérieur du nom de Jean-Luc Mélenchon. Vient l’entrée à l’ENA dont, signe d’une certaine désinvolture, il sort en 2004, loin derrière les meilleurs éléments. Le voilà administrateur civil.

2006 : le voilà sous-préfet à Saint-Denis alors que les banlieues se remettent difficilement de l’embrasement de l’année précédente. Il fait alors entorse à ses idées politiques en 2008 et travaille aux côtés du sarkozyste Frédéric Péchenard à la Direction générale de la Police nationale. Directeur de cabinet plus tard à la mairie de Paris de Bertrand Delanoé  puis d’Anne Hidalgo, il rejoint la SNCF comme DG adjoint puis fait l’expérience du privé au sein du Groupe Danone en 2019.

Sa nonchalance affichée ne contredit pas une ambition que certains de ses anciens collègues pointe comme envahissante. Lorsqu’il se présente en 2021 sur une liste de 23 noms à la direction de Sciences Po, peu doutent de son élection. Parcours, amitiés, réseau, charme : tout y est. Le nouveau venu s’engage. Au cœur de ses promesses de management, la lutte sans concessions contre… les violences sexistes et sexuelles.

Le département de sociologie de Sciences-po a demandé le départ de Mathias Vicherat. Sauf – comme le faisait remarquer Yaël Goze sur France Inter – qu’il n’y a pas eu de plainte, pas de mise en examen, pas d’enquête préliminaire… Aujourd’hui, on exclut donc sur une simple hypothèse? Et c’est une section étudiant qui prononce le verdict, sans appel? Alors même que la compagne du présumé-coupable a écrit sur Instagram: « Les tristesses de couples appartiennent aux couples et ça n’est jamais tout blanc d’un côté et tout noir de l’autre […] Il faut que ça cesse. »

Sandrine Treiner

Editorialiste culture