Matthieu Pigasse, banquier rebelle
Financier surdoué, patron de presse passionné, homme de gauche assumé, il remet en question les dérives du capitalisme et plaide pour des changements majeurs
C’est un paradoxe vivant. D’abord, un parcours trés macronien: Science-po, l’ENA, même expérience dans la banque d’affaires, même origine politique de gauche. Ils sont un temps rivaux. Lui, chez Lazard, l’autre chez Rotschild. Puis les chemins divergent, définitivement. Macron assume son libéralisme. Pigasse quitte Lazard frères où il avait atteint les sommets, acquiert le magazine « Les Inrockuptibless », Radio Nova, le festival Rock-en-Seine, revend ses parts du journal « Le Monde » et revient vers la banque en 2019 en lançant la filiale européenne de la banque américaine Centerview.
Puis, le voilà qui écrit un livre féroce : « La lumière du chaos » (éditions de l’Observatoire), dans lequel il dénonce la folle course à l’argent de nos sociétés. Membre des cabinets Strauss-Kahn, Fabius, il a voté Mélenchon en 2017 après avoir soutenu aux primaires socialistes de la présidentielle, Arnaud Montebourg.
« Dealmaker » financier compulsif, leveur de capitaux fameux, aménageur efficace de la dette de quelques États ; mais aussi grand « fan » des « Clash » et des « Sex Pistols », qui est-il ? Pas seulement un grand et mince jeune quinquagénaire, un chevalier de la finance à la longue figure pas triste, à l’aise dans ses costumes Dior, mais aussi un homme de gauche, toujours entre raison et passion.
Son livre prévient : « nous sommes dans une situation inquiétante que j’appelle le chaos ». Les déséquilibres économiques mondiaux et les chocs successifs ébranlent un système financier fragile. L’ouvrage évoque aussi la grande désillusion suscitée par le capitalisme, seul modèle viable après la chute du communisme arrivé en bout de course. La promesse d’un monde meilleur s’est envolée, les inégalités explosent. Les plus riches détiennent toujours plus d’avantages tandis que dans nos sociétés individualistes, l’esprit de solidarité vacille.
Contre les politiques d’austérité et de réduction des dépenses publiques, il suggère d’annuler une partie de la dette puisqu’aucun pays au monde ne remboursera jamais intégralement la sienne. Il souhaite de la création de monnaie, la distribution d’un revenu minimum pour corriger les inégalités de naissance, une taxe plus forte sur les fortunes immobilières. La moitié du parc immobilier appartient à 11 % des ménages et 58 % des logements à Paris sont détenus par des ménages propriétaires d’au moins cinq biens.
Enfin, Mathieu Pigasse juge le personnel politique irresponsable et tellement obnubilé par la communication qu’il ouvre la route à la démagogie et aux populismes à force de promettre sans tenir.
On peut être un membre éminent de l’élite française dont il dénonce les faillites. Il assume ce rôle de traitre utile, certainement pas idiot. Et même si son groupe de presse paraît trop endetté, même s’il aurait mieux réussi comme investisseur que comme entrepreneur, après tout, contrairement à certains opposants dont la véhémence cache l’inculture économique, lui, sait de quoi il parle.
La lumière du chaos Broché – octobre 2023 – Matthieu Pigasse – Editions de l’Observatoire