Maud Gatel : « Tous les verrous vont sauter »

par Valérie Lecasble |  publié le 24/05/2024

Après avoir enquêté sur le projet de fin de vie, la Secrétaire du Modem a totalement changé d’avis et craint pour les pauvres et les précaires

Maud Gatel - D.R

LeJournal.info Dimanche : Vous avez changé d’opinion sur le projet de loi de fin de vie. Vous étiez pour, vous êtes devenue contre ?

Maud Gatel : Oui, depuis plus d’un an, je travaille sur ce sujet qui me passionne. Parisienne, favorable aux évolutions de la société, j’étais très ouverte au projet qui correspondait à mon ADN. J’ai beaucoup travaillé, consulté, j’ai visité plusieurs services de soins palliatifs, discuté avec des médecins, échangé avec des infirmières, des soignants et j’ai changé d’avis. Je mesure le fait que quelques personnes vivent chaque année des souffrances épouvantables, qui aujourd’hui ne peuvent être soulagées par la science et demandent à mourir. Cette demande est compréhensible et légitime, mais je crains les impacts de cette possibilité sur l’ensemble de la société.

Car je constate que les solutions de l’aide active à mourir proposées aux Pays-Bas, aux Etats-Unis ou au Canada, ont toujours eu au départ des conditions très restrictives. Mais au fur et à mesure du temps, des verrous sont tombés. Les possibilités s’ouvrent plus largement et elles concernent toujours au premier chef les plus vulnérables, les plus fragiles, les plus précaires.

Les plus fragiles seraient davantage tentés que d’autres par l’aide à mourir ?

Le risque pour la société d’ouvrir cette possibilité d’aide à mourir me semble très lourd. On ne légifère pas pour la marge, mais pour le plus grand nombre. La mort n’est pas l’ultime droit ou une situation purement personnelle. Sur cette question, l’intérêt général n’est pas la somme des situations individuelles.

L’exemple du Canada est celui qui m’a le plus frappée. Dans un premier temps, le texte prévoyait une aide à mourir uniquement lorsque le pronostic vital est engagé. Mais la Justice a fait supprimer ce critère, jugé discriminatoire. Maintenant, l’aide à mourir est très largement ouverte. Et, dans un récent sondage, 28 % des Canadiens considéraient qu’il fallait étendre les critères pour y intégrer les sans domicile fixe. Aux États-Unis, on a constaté une sur-représentation des pauvres dans les demandes d’aide active à mourir. Des pressions, y compris financières, peuvent s’exercer. Et ce sont les plus fragiles, les plus vulnérables, les plus précaires qui sont les premières victimes.

Le projet de loi ne vous paraît pas suffisamment verrouillé ?

Le projet présenté par le gouvernement prévoit des critères très restrictifs. Mais des voix se font entendre pour dire qu’il faut élargir les critères. On en est à réfléchir aux personnes souffrant d’Alzheimer afin de les réintroduire dans la loi. Pourquoi pas un jour l’ouverture aux mineurs ? Tous les verrous qui ont été posés dans le projet du gouvernement sont questionnés et les exemples étrangers montrent qu’in fine, ils sautent. Je crains que cette éventualité ne pousse à y recourir des personnes qui se sentent inutiles ou craignent d’être un poids pour leurs proches ou pour la société.

Certes, l’ordre des médecins s’est finalement prononcé en faveur de l’ouverture d’une aide à mourir, mais je constate que l’ordre des infirmiers, dont les membres sont au plus près des patients, est toujours contre.François Bayrou, qui a fait part de ses plus grandes réserves, a reçu le courrier d’une mère, qui craint que sa fille trisomique ne demande à mourir quand elle-même sera partie, par simple peur de gêner. C’est terrorisant.Tout comme l’exemple de la Belgique qui autorise le recours à l’aide à mourir pour les souffrances psychologiques sans souffrances physiques, où une rescapée des attentats de Bruxelles a demandé à 23 ans une euthanasie, et une autre à 16 ans il y a quelques semaines.

Il faut d’abord pleinement appliquer la loi Claeys-Léonetti et permettre à chacun d’avoir accès aux soins palliatifs, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui ! Les professionnels font un travail extraordinaire. J’ai vu beaucoup de colère parmi eux sur ce projet de loi. Comme une Directrice d’Ehpad qui m’a dit, « ce projet est une réponse aux questions de financement de la dépendance ». L’activisme de Mutuelles de santé qui militent pour retirer le critère du pronostic vital engagé contribue à donner cette fausse impression.

Que pensez-vous pouvoir faire ? Déposer des amendements ?

Oui, j’en dépose une quinzaine. Concernant les soins palliatifs, je souhaite que le Parlement s’assure que l’effort sans précédent proposé par le gouvernement à travers la trajectoire de 1,2 milliard d’euros supplémentaires prévus pour les dix prochaines années sera bien respectée chaque année lors du vote des lois de finances. Aujourd’hui, la moitié des adultes et les deux tiers des enfants qui devraient en bénéficier n’ont pas accès aux soins palliatifs. Un tiers des départements n’en sont pas pourvus. Or, dans les soins palliatifs, la demande de mort est exceptionnelle, car 99,99 % des douleurs y disparaissent.

Concernant l’aide active à mourir, je souhaite que les délais de réflexion soient respectés. Il faut également renforcer la collégialité de la prise de décision. Je demande l’intervention d’un psychiatre et que l’on exclut les personnes sous tutelle. Il faut exiger la pleine conscience pour la demande d’aide à mourir, et accompagner les professionnels de santé qui seraient amenés à administrer la solution léthale. Et qu’il n’y ait pas de délit d’entrave comme pour l’IVG qui n’est absolument pas le même sujet.

Je continue d’aborder ce sujet avec respect pour toutes les opinions. Mon moteur est de savoir, dans notre société de plus en plus individualiste et atomisée, quelle va être la conséquence de l’aide à mourir pour notre lien social et notre pacte social. Je crains que le risque ne soit beaucoup trop élevé.

Maud Gatel, députée et secrétaire générale du Mouvement démocrate (MoDem).

Valérie Lecasble

Editorialiste politique