Médine, le boulet

par Laurent Joffrin |  publié le 21/08/2023

Deux maires écologistes, de Strasbourg et de Bordeaux, ont décidé de ne pas venir aux universités d’été où le rappeur doit s’exprimer. Ébranlé, divisé, le parti vert paie le prix d’une invitation hautement douteuse

Laurent Joffrin

Perseverare, diabolicum… L’erreur de Marine Tondelier, qui a invité à son université d’été un rappeur au passé louche, pouvait se comprendre. Les citations de Médine qu’on lui opposait étaient anciennes, il était la cible de la droite et de l’extrême-droite, qu’il récusait dans ses textes, il arguait d’une conversion à l’antiracisme. On pouvait se tromper, errare humanum est. Mais une fois établis ses liens avec des associations influencées par les Frères musulmans et, surtout, depuis son tweet à forte connotation antisémite adressé à Rachel Khan, le doute s’était dissipé : le personnage n’est pas recommandable. Pourtant la cheffe écologiste a maintenu son invitation. Perseverare diabolicum. Persévérer, est diabolique…

Marine Tondelier en paie le prix politique. Plusieurs personnalités notables de l’écologie politique, Noël Mamère, Karima Delli, Sandrine Rousseau, ont condamné cette invitation, portant la zizanie à l’intérieur du parti vert. Et voici que deux maires écologistes importants, Jeanne Barseghian à Strasbourg, Pierre Hurmic à Bordeaux, ont annoncé qu’ils ne viendraient pas, ayant mieux à faire que d’assister à un débat douteux. Ainsi les Verts, plutôt que d’interpeller, en ces temps de canicule, le pouvoir et l’opinion sur les retards de la lutte pour le climat – qui leur importe en principe – se sont empêtrés dans cette grotesque et saumâtre série d’été sur les cinquante nuances d’antisémitisme qu’ils croient déceler.

Il faut dire que les arguments employés par Marine Tondelier n’ont guère servi sa cause. Au lieu de rappeler que l’antisémitisme, comme le racisme en général, est inexcusable en tout état de cause, elle s’est lancée dans une étrange casuistique en distinguant un antisémitisme conscient, volontaire, à rejeter absolument, et un autre, moins grave, qu’elle explique par « la maladresse », « l’ignorance » ou « la bêtise ». Catégorie dans laquelle elle range manifestement le rappeur Médine, qui a dû apprécier à sa juste valeur la laborieuse excuse excipée par son hôte. Pour se définir, il doit donc choisir entre trois adjectifs : maladroit, ignorant ou bête ; il devra aussi faire amende honorable sous la surveillance pointilleuse de ceux qui l’ont invité. À l’hypocrisie et à la confusion mentale, Tondelier ajoute le paternalisme. Réussite totale.

D’autant qu’une question gênante se pose désormais. En minimisant l’antisémitisme de Médine, Tondelier accrédite le soupçon qui touche une partie de la gauche. Le préjugé antisémite, quand il émane des cités, serait donc moins gênant que le racisme en général. Dans cette vision complaisante, on place implicitement les juifs dans la catégorie des dominants, excusant ainsi l’inimitié que leur voue les dominés. Ce qui reviendrait, pour parler clair, à justifier l’antisémitisme… On reconnaît là les thèses développées par les « Indigènes de la République », notamment par Houria Bouteldja, théoricienne du communautarisme décolonial (voir son livre Les Blancs, les Juifs et nous). Voilà un soupçon que Marine Tondelier serait avisée de dissiper rapidement, sauf à rendre un très mauvais service à la gauche tout entière.

Laurent Joffrin