Megalopolis : l’étrange retour vers le futur

par Thierry Gandillot |  publié le 27/09/2024

Déjà détenteur de deux palmes d’or, Francis Ford Coppola a fait tapis une troisième fois avec un péplum dystopique. Déconcertant.

Francis Ford Coppola assiste à la première de "Megalopolis" le 23 septembre 2024 à New York. Photo de Michael loccisano / Getty Images via AFP)

Lors du dernier festival de Cannes, George Lucas, le créateur multimillionnaire de la saga « Star Wars », était venu en toute sérénité recevoir une palme d’honneur pour l’ensemble de sa carrière. Tout à gagner, rien à perdre. Francis Ford Coppola, son compère du « Nouvel Hollywood » – ces jeunes turcs qui voulaient détruire l’Empire des studios – était venu, lui, faire tapis pour un de ces coups de poker dont il a le secret. Risque méritoire mais périlleux : en soumettant « Megalopolis » au jugement la presse du monde entier, prompte à user du lance-flammes, il avait plus à perdre qu’à gagner.

Sur la Croisette, le destin des films peut se jouer en une soirée. Le mode « ça passe ou ça casse » est l’une des spécialités de Coppola. Déjà détenteur de deux palmes d’or (Conversation secrète en 1974 et Apocalypse Now en 1979), FFC pouvait, si le jury présidé par Greta Gerwig le décidait, en remporter une troisième, ce que personne n’avait réussi jusqu’alors. Mais il pouvait aussi essuyer la bronca de la grande salle Lumière et repartir avec le goudron et les plumes…

Comme pour « Apocalypse Now », le nouvel opus de Coppola était précédé de sa légende. Devant le peu d’appétit des banquiers à se lancer dans une telle aventure, ce flambeur flamboyant a financé lui-même les 120 millions de dollars nécessaires en hypothéquant ses vignobles de Napa Valley. Le projet, vieux de trente ans au moins, a été arrêté et repris à plusieurs occasions, empêché notamment par l’attentat du 11 décembre 2021 contre les tours du World Trade Center. Le casting a été bouleversé à de multiples reprises. Le tournage s’est révélé épique avec le licenciement d’une équipe de tournage et la destruction accidentelle de certaines scènes. Le montage s’est révélé interminable tandis que des rumeurs négatives commençaient à filtrer.

Plus grave, les distributeurs potentiels ne se bousculaient pas au portillon. Seul « Le Pacte » avait annoncé qu’il prenait les droits pour la France. Bref, à la veille de la projection, la presse mondiale était sur les charbons ardents. Thierry Frémeaux, le délégué général du Festival de Cannes, résumait ainsi la situation : « Coppola a construit la légende de Cannes. Et Cannes a construit la légende de Coppola. » C’est peu dire que l’opus a été fraîchement accueilli. Il faut reconnaître que cette fable rétrofuturiste ne ressemble à rien de connu (contrairement, soit dit en passant, à « Anora » de Sean Baker qui, malgré un agaçant air de déjà vu, a remporté la palme d’or).

Désormais en salle, Megalopolis fait le parallèle entre l’Empire romain et les États-Unis d’Amérique, lesquels, selon Coppola, sont fondés sur les mêmes principes. Ce qui laisse augurer, peut-être, de la même chute. Dans cette Nouvelle Rome, détruite par un cataclysme, deux hommes s’affrontent pour reconstruire la ville. César Catilina (Adam Driver) est un architecte utopiste qui imagine rebâtir la cité de façon écologique afin qu’elle « fasse rêver les gens ». En face de lui, Franklyn Cicero (Giancarlo Esposito), le maire corrompu de la ville qui veut la reconstruire à l’ancienne tout en s’en mettant plein les poches. Entre les deux, Julia (Nathalie Emmanuel), la fille de Cicero, secrètement amoureuse de Catilina, doit choisir son camp. Le couple doit, en outre, esquiver les attaques sournoises du cousin de Julia, Claudio (Shia LaBeouf), et la rancune de l’ancienne maîtresse de Catilina, Wow Platinum (Audrey Plaza).

Sur ce scénario improbable, Coppola nous embarque sans ménagement dans une folle virée où le grotesque tutoie le trivial. On comprend l’ambition qui l’a poussé à se lancer dans ce péplum à vocation historique et pseudo philosophique. Mais dans cette furia, il ne ménage jamais le spectateur, qui se retrouve comme ficelé sur un « grand huit » dont il ne peut à aucun moment s’échapper. Avec parfois des images d’une sublime poésie, qui, sans racheter l’ensemble, portent la marque du génie.

Megalopolis, de Francis Ford Coppola 2h20, avec Adam Driver, Nathalie Emmanuel, Giancarlo Esposito, Aubrey Plaza, John Voight, Shia LaBeouf, Al Pacino…

Thierry Gandillot

Chroniqueur cinéma culture