Mélenchon contre la gauche

par Laurent Joffrin |  publié le 23/06/2024

Après avoir fait mine de se mettre en retrait, le leader de la France insoumise s’impose de nouveau sur le devant de la scène, au risque d’affaiblir le Nouveau Front Populaire. Pourquoi ?

Laurent Joffrin

Il était entendu – même implicitement – que Jean-Luc Mélenchon ne serait pas Premier ministre d’un éventuel gouvernement du Nouveau Front Populaire. Fragile illusion. Le voici qui revendique de nouveau Matignon,, alors même que l’immense majorité des Français redoute cette hypothèse et que le retour en force de cet épouvantail à électeurs modérés – ceux qui feront la décision – handicape évidemment la coalition de gauche. Comment expliquer cette aberration ? L’égotisme du personnage peut jouer un rôle, certes. Mais Mélenchon est trop froid calculateur pour succomber à cette forme de narcissisme. Il sait qu’il affaiblit la gauche : il le fait donc en connaissance de cause, en vertu d’un but bien précis.

Le premier, c’est l’élimination de Ruffin. Tout en restant au sein du courant radical, celui-ci s’est clairement dissocié du lider maximo et cherche à asseoir une sorte d’imperium sur la gauche. Il a lancé le slogan de « Front populaire » (et non Mélenchon), après s’être rendu acceptable aux autres formations de gauche en se définissant comme « social-démocrate ». Autant dire fasciste aux yeux des apparatchiks LFI. Ruffin a défié le boss : dehors ! Comme Garrido ou Corbière. Ce qui augure mal de la forme de gouvernement que le Premier ministre putatif compte imposer.

Il faut craindre, surtout, qu’il vise un but plus large. En écartant les électeurs rationnels, notamment ceux qui ont voté Glucksmann, par son insistance à vouloir gouverner la France, Mélenchon poursuit une fin à ses yeux essentielle : empêcher à tout prix le rééquilibrage de la gauche. Sa réapparition en chef de gouvernement affaiblit le Front populaire, mais elle a l’immense avantage de préserver les positions de LFI en son sein. Comme tous les leaders radicaux, Mélenchon préfère une gauche faible qu’il domine à une gauche forte qui lui échappe. Car cette gauche élargie risque de consacrer le retour de la social-démocratie – horresco referens – entamé grâce au bon score de Raphaël Glucksmann. Abomination de la désolation aux yeux de LFI.

Si bien que la conclusion s’impose d’elle-même : hiérarchisant les dangers pour sa formation, Mélenchon préfère affaiblir la gauche plutôt que renforcer sa composante réformiste, la mieux à même de rassembler les électeurs et donc de battre les lepénistes. C’est-à-dire favoriser le RN plutôt que perdre son hégémonie sur la coalition. On s’étonnera, après cette nouvelle manifestation de sectarisme, si le Rassemblement national se retrouve majoritaire.

Laurent Joffrin