#Metoo chez Barbe-Bleue

par Thierry Gandillot |  publié le 25/03/2024

Divorcée, décapitée, morte, divorcée, décapitée et une…survivante, dit la comptine anglaise. Pas facile d’être la sixième femme du roi Henry VII, dit Barbe Bleue

LE JEU DE LA REINE FIREBRAND 2023 de Karim Ainouz COLLECTION CHRISTOPHEL ©

Elle s’appelle Catherine Parr. C’est la sixième femme d’Henry VIII, et elle a survécu à Barbe-Bleue,  un exploit. Les cinq premières épouses du monarque n’ont pas eu cette chance. Catherine d’Aragon : répudiée. Anne Boleyn : décapitée. Jeanne Seymour : décédée. Anne de Clèves : répudiée. Catherine Howard :  décapitée. Les petits Anglais apprennent dès leur plus jeune âge la comptine qui rappelle le sort de ces malheureuses : « Divorced, Beheaded, Died-Divorced, Beheaded, Survived. » ( Divorcée, Décapitée, Morte-  Divorcée, Décapitée, Survivante.)`

Catherine Parr a, donc, survécu. Ce n’était pas gagné, d’autant plus qu’elle a pris tous les risques. Mais, fine stratège, elle a su louvoyer et échapper au pire qui lui était promis. Certes, elle est moins connue que les autres épouses d’Henry VIII. Et c’est tout le mérite du réalisateur brésilien Karim Aïnouz que de faire sortir cette résistante dans un monde d’hommes tout puissants, de l’angle mort où elle avait été maintenue pendant des siècles et de la projeter en pleine lumière. Elle le mérite.

Catherine a 31 ans quand elle épouse, contrainte – son véritable amour était Thomas Seymour, l’oncle de Jeanne -, ce colosse à la triste réputation. Il en a 54 et pèsera bientôt… 178 kilos.

Intelligente, cultivée, elle parle plusieurs langues, écrit, à une époque où peu de femmes se l’autorisaient, intervient dans les affaires du pays, mais surtout, s’intéresse de près à la religion qui monte en Europe, le protestantisme. Elle est catholique, mais attirée par cette nouvelle foi. Elle plaide pour l’édition d’une bible en anglais afin que le message biblique puisse toucher le peuple. Catherine fait très attention à ne pas se faire coincer par les pontes de l’Église catholique – en particulier l’évêque Stephen Gardiner, qui veut la faire brûler comme hérétique –  mais elle va dangereusement se rapprocher de la prédicatrice Anne Askew. Elle ne pourra pas empêcher pour autant son exécution.

L’évêque est bien près d’obtenir gain de cause auprès d’un Henry VIII affaibli, obèse et dévoré par les ulcères. Mais Catherine réussit à détourner in extremis le mandat d’arrêt lancé contre elle. À la mort d’Henry VIII, elle assure la transition et porte la jeune Élisabeth jusqu’au trône d’Angleterre permettant ainsi de sauver la fragile lignée des Tudor. Saine et sauve, elle fera alors publier ses Lamentations d’un pêcheur, inspirées par la Réforme, en toute sécurité.

Karim Aïzoun décrit un univers lourd de menaces où l’atmosphère est aussi gangrenée que les jambes du souverain défaillant. Il conduit avec brio un véritable polar élisabéthain où tous les coups sont permis. Jude Law, méconnaissable, campe un roi monstrueux, pervers, tyrannique et cruel, aux intentions insaisissables.

Alicia Vicander porte avec détermination ses convictions de femme moderne, mais montre également une véritable tendresse à l’égard des enfants de Barbe-Bleue, en particulier Élisabeth, dont la mère Anne Boleyn avait été décapitée sur ordre de son père. Première du nom, elle régnera 45 ans et consolidera l’Église anglicane. La “Reine Vierge” n’aura ni mari ni enfants et la lignée des Tudor s’éteindra avec elle. Pas l’église d’Angleterre.

Le jeu de la reine de Karim Aïnouz avec Jude Law et Alicia Vikander. 2 heures.

Thierry Gandillot

Chroniqueur cinéma culture