Mexique : deux femmes face à face

par Emmanuel Tugny |  publié le 31/05/2024

Dans un pays historiquement macho, deux candidates briguent la présidence. L’une d’elles sera élue

La candidate de la coalition Fuerza y Corazon por Mexico, Xochitl Galvez (G), à Monterrey, dans l'État de Nuevo Leon, au Mexique, le 29 mai 2024, et la candidate pour le parti au pouvoir Morena, Claudia Sheinbaum, sur la place du Zocalo à Mexico, le 29 mai 2024 - Photo Julio Cesar AGUILAR et CARL DE SOUZA / AFP

Le Mexique s’apprête, à l’occasion de ses élections générales, à se donner pour six ans une femme pour présidente. Le second tour de l’élection présidentielle de dimanche opposera en effet deux « reinas del sul », la physicienne Claudia Sheinbaum Pardo, épigone du populaire Andrés Manuel López Obrador, pour l’alliance populiste de gauche « Sigamos haciendo historia » (« Continuons à écrire l’histoire » ) et Xóchitl Gálvez, chef d’entreprise d’origine Otomi, pour la coalition libérale et conservatrice « Fuerza y Corazón por México » (« Force et cœur pour le Mexique »).

Le programme de Sheinbaum Pardo ressemble en tout point à celui d’Obrador. Le vieux lion a joué, depuis 2018, une partition sociale-démocrate « luliste ». Il s’est montré soucieux d’aménagement équitable du territoire, de lutte contre la corruption, attaché à une séparation accrue des pouvoirs, à la mise sous tutelle « sociale » de la banque centrale, à l’augmentation du niveau de vie des plus pauvres, défendant au mieux sa souveraineté face aux oukases de Washington, s’agissant de politique migratoire ou de lutte anti-drogue. Cette politique est aujourd’hui contestée par une part des salariés victimes de la surtaxation des entreprises et par des possédants lourdement imposés et entravés par la nouvelle réglementation sociale.

L’insécurité n’a pas décru sous AMLO : depuis 2018, 100 homicides par jour sont relevés au Mexique, près de 400 000 morts violentes, auxquelles s’ajoutent quelque 115 000 disparitions, ont été enregistrées dans le pays depuis 2006. Et 156 journalistes enquêtant sur le crime organisé y sont morts depuis 1995.

Sheinbaum Pardo, ancienne membre du GIEC, maire de Mexico entre 2018 et 2023, assume vaille que vaille ce bilan mitigé : tout juste entend-elle « verdir » la politique de son mentor.  Face à elle, Xóchitl Gálvez, ancienne maire de Miguel Hidalgo, défend les intérêts du patronat et de classes populaires lasses de devoir vivre en état de guerre objectif, en particulier au Sinaloa, au Zacatecas, à Tijuana ou à Ciudad Juárez.

Elle fait son miel de la critique de celle qu’elle juge le hochet d’Obrador mais se garde de fouler au pied la statue du populaire commandeur : elle assume, contre les plus droitiers de son camp, une part de son héritage social ou sociétal (IVG, droits des minorités) et en propose une version « orléaniste ». En somme, les candidates, positionnées à gauche, présentent toutes deux des versions revernies, de vert ou d’azur libéral, de la doctrine d’AMLO.

Sheinbaum Pardo, que les sondages créditent de 56 % des intentions de vote, devrait l’emporter sur sa rivale à qui sont promis 35 % des voix. La configuration de l’élection de dimanche l’atteste : le leadership féminin est de mieux en mieux accueilli dans une région du monde qui voit, depuis le milieu des années 2010, un féminisme inventif et virulent, volontiers intersectionnel, animer un espace public toujours plus sensible à ses revendications.

Emmanuel Tugny

Journaliste étranger et diplomatie