Michaël Delafosse : « La gauche ne doit pas avoir la main qui tremble »

par Hervé Marchal |  publié le 22/03/2024

La sécurité est la priorité d’un maire, homme de gauche. Michaël Delafosse, maire de Montpellier en détaille le mode d’emploi et la philosophie. Édifiant

Le maire de Montpellier Michael Delafosse à Paris le 23 mai 2023- Photo JOEL SAGET / AFP

L’insécurité est devenue l’une des inquiétudes majeures des Français. À tel point que le président de la République et une partie de son gouvernement sont revenus à Marseille, cette semaine, pour appuyer une opération « Place nette XXL » qui a mobilisé plus de 900 policiers et gendarmes.

Michaël Delafosse, le maire PS de Montpellier, président de la métropole, prône une fermeté absolue sur le sujet, est devenu une figure incontournable de la gauche de gouvernement.

LeJournal.info : Êtes-vous favorable aux opérations de type « Place nette » comme celle qui a été engagée cette semaine sur la drogue à Marseille ?

Michaël Delafosse : Depuis le premier jour où je suis devenu maire de Montpellier, j’ai fait de la question de la sécurité 50% de mon agenda. Cette question préoccupe tous nos concitoyens. Il faut rappeler que les victimes de l’insécurité sont ceux qui vivent dans les logements sociaux, ceux qui n’ont pas beaucoup de moyens, qui peinent à vivre de leur travail, des retraités qui vivent de petites pensions après une vie de labeur, des femmes seules avec enfants.

Pour vous l’insécurité, qu’esce que ‘est ?

C’est un dealer qui occupe une cage d’escalier, c’est votre voiture qui est cassée, c’est parfois l’espace public qui est dégradé. Il ne faut rien lâcher sur ces sujets-là, car ce ne sont pas ceux qui transgressent la loi qui font la loi. On respecte les lois et les lois c’est la règle.

En homme de gauche, je ne pense pas que c’est le plus fort, celui qui a l’argent, celui qui intimide, qui fait la loi. La loi c’est la règle commune, c’est ce qui définit le cadre de vie en société.

Dès mon arrivée à la mairie on a décidé de coordonner les forces de police municipale, de police nationale, on a travaillé ensemble. J’ai développé les rappels à la loi. On a essayé de réaffirmer l’autorité républicaine. C’est-à-dire l’autorité de la loi. Et d’ailleurs le président de la République est venu à Montpellier visiter une des opérations dans un quartier, la résidence du lac, où on a repris la main. Les gens y ont retrouvé une vie calme, même s’il faut continuer à travailler.

Les dispositifs « Place nette » sont des leviers d’action où l’on coordonne les forces : police nationale, police municipale, caméras de surveillance, des hommes et des femmes remarquables. Et le judiciaire.

Intervenir c’est bien, mais ensuite il y a le cadre de vie. Comment va-t-on aménager, embellir ? Comment va-t-on mettre en place la doctrine de « la vitre cassée et aussitôt réparée ». Quelques fois on part de tellement loin qu’on met beaucoup de temps à tout réparer.

– Alors « Place nette », c’est une solution ?

Moi je vois ce dispositif-là comme une bonne chose, mais ce n’est qu’un étage de la fusée parce que la France doit prendre la mesure, comme d’autres pays européens, du déploiement du narcotrafic. Aujourd’hui, c’est le grand défi . Avec deux problèmes : d’abord ceux qui consomment la drogue -je ne parle pas du toxicomane dépendant, fragile, à accompagner sur le plan sanitaire et social-, je parle de celui qui prend de la drogue récréative, la cocaïne, qui va dans les endroits où l’on fait « Place nette » et qui contribue à l’insécurité. Et là il faut de la fermeté.

Et puis on ne peut plus accepter que des gens se jouent autant des institutions, qu’ils puissent acheter des épiceries de nuit pour blanchir l’argent.

– C’est un phénomène que vous connaissez à Montpellier ?

Comme partout en France. Regardez la Belgique, la Hollande, la situation décrite par les médias, au port du Havre, de Marseille, peut-être au port de Sète… je constate que ma ville est exposée au phénomène de la drogue par des consommateurs, mais aussi par des gens qui font du blanchiment. Moi, je ne laisse rien passer.

Un jour un commerce installé sur la place emblématique de la Comédie, la grande place du centre-ville, devait être vendu. J’ai eu peur, en tant que maire, qu’il soit acheté en petites coupures aux enchères. Eh bien la mairie l’a acheté et aujourd’hui elle en est propriétaire.

– Il y avait réellement danger ?  

Nous avions des informations, des sources concordantes. Ainsi on lutte pied à pied, on tente de reprendre la main. On se dit comment se fait-il qu’il y ait autant d’épiceries de nuit qui existent. Pourquoi y a-t-il autant de barbiers au mètre carré ? On voit bien, qu’en fait cela cache d’autres activités. Alors j’utilise au maximum les pouvoirs du maire et, en lien avec les services de l’État, fermetures administratives, préemption quand je le peux. Aujourd’hui, il faut que le pouvoir judiciaire ait davantage de capacité de saisie de ces commerces et qu’on lance un immense plan d’action avec plus de moyens pour la police judiciaire.

Dans un quartier, j’ai vu une mère de famille en larmes. Je la prends dans mes bras et elle me dit « monsieur le maire, la drogue a pris mon fils. Il a 16 ans, il a plein de petites coupures ». Il la bat, il la menace. Cette famille est brisée.

Dans la lutte contre le blanchiment, il faut sûrement revoir la loi sur le paiement en argent liquide, il faut pouvoir saisir plus facilement les avoirs, il faut plus de moyens sur l’enquête, il faut du bleu sur l’espace public, de l’autorité dans l’espace public. Notre pays doit prendre la mesure du phénomène. Ce phénomène du narcotrafic amène de la corruption passive. On l’a vu en Belgique, aux Pays-Bas, ici parfois avec la police, certains fonctionnaires.

 On doit être dans une approche de mobilisation collective et d’immense fermeté parce que ce qui se joue là ,c’est potentiellement une déstabilisation.

– On retrouve un peu partout en France et notamment à Montpellier, la même géographie commerciale et sociale du trafic, désignée du simple nom de « cités »…

– Les habitants des cités des quartiers populaires subissent les trafics. Ils subissent la belle voiture qui vient acheter sa cocaïne récréative. Ils sont en situation de vulnérabilité et donc à cet endroit les réseaux se déploient parce que la République n’a plus tout à fait la main.

La République doit marcher sur ses deux jambes. Elle doit protéger et émanciper. Dans certains endroits quand le tissu associatif s’est affaibli, quand il manque un certain nombre de choses, la loi du plus fort commence à s’installer.

C’est la raison pour laquelle, ici à Montpellier, nous avons monté une brigade du logement social. Elle n’est pas armée, elle n’en n’a pas le droit, elle a des maîtres- chiens, elle est équipée de gilets pare-balles pour pouvoir intervenir en tous lieux, en toutes circonstances et donc pour essayer de protéger les gens les plus vulnérables. Pour aller repérer la petite cache de drogue. Bref pour tenir le terrain.

Nous avons aussi complètement réinterrogé notre politique de la ville pour essayer de reconquérir tous les locaux associatifs, tous les espaces qui pouvaient apparaître déclassés. Le travail est considérable. À Montpellier, comme dans toutes les villes de France. Mais il ne faut rien lâcher. Quand on est résolu, déterminé, on conserve la confiance des habitants. Si eux sentent qu’on ne les abandonne pas, ça change tout. Sinon vous laissez la porte ouverte au narcotrafic.

– Cette stratégie mobilise des moyens importants ?

– La brigade du logement social ce sont 42 agents, j’ai créé 50 postes de policiers municipaux supplémentaires dans le mandat, et d’ici à 2026, 50 endroits de vidéosurveillance supplémentaires pour permettre demain au pouvoir judiciaire d’avoir les preuves pour pouvoir poursuivre les gens.

Je mène une action qui me vaut d’être conspué par certains, mais je n’en ai rien à faire. Les gens qui sont dans du logement social – et qui se servent du logement social pour pratiquer le deals – sont ex-pul-sés ! Le logement social c’est la République sociale, c’est pour tous les gens fragiles. Mais si un logement social ça devient autre chose qu’un logement et si ça devient un point de deal, eh bien on dégage, voilà. Expulsion. Ce n’est pas simple, mais il ne faut pas avoir la main qui tremble sur ces sujets non plus.

– Est-ce que votre majorité vous suit sur ce sujet ?

– Il y a des débats. Mes amis communistes et écologistes sont hostiles à la vidéosurveillance. Donc ils s’abstiennent ou votent contre. Ils me disent : « il y aura peut-être demain un pouvoir qui se servira à d’autres fins de la vidéosurveillance ». Je leur réponds : « aujourd’hui il y a des pouvoirs qui sont des pouvoirs illégaux qui pourrissent la vie des gens ». Chacun a sa sensibilité.  Comme homme de gauche, je considère qu’il faut une sécurité sociale, de même il faut assurer la sécurité des biens et des personnes. Pour ma part je crois à la loi, je crois à la règle. Que faisons-nous, les professeurs, dans les salles de classe ? Nous enseignons la règle. Je crois qu’il faut être très mobilisé là-dessus. À gauche les gens commencent à se rendre compte que le discours que je tiens c’est le bon discours. La police elle ne tue pas, elle protège.

– Cela nous amène sur le vivre ensemble. Comment travaillez-vous sur l’ensemble des questions de sécurité ? Les violences faites aux femmes, le racisme, l’homophobie…

– L’espace public c’est l’espace commun. La liberté d’aller et venir c’est une liberté fondamentale, inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme. Donc, quand une femme se fait harceler dans la rue on porte atteinte à une liberté fondamentale. Quand quelqu’un,  parce qu’il porte un signe religieux, une kippa, un voile, une soutane se fait intimider, on porte atteinte à des principes fondamentaux qui sont la liberté de conscience et la loi de 1905.

Montpellier est la ville du mariage pour tous et des combats LGBT. Quand j’ai été élu maire j’ai travaillé avec le procureur de la République M. Bélargent, un homme remarquable, pour former notre police municipale sur les discriminations, le racisme et le harcèlement de rue. Avec la police métropolitaine des transports créée en octobre dernier, on a fait déférer sept délits devant le tribunal correctionnel. Donc la justice va faire son travail.

Nous avons créé un dispositif pour les femmes dans les commerces, qui s’appelle Maguelone, ailleurs c’est Angelina. Il y a 200 commerçants, qui forment un réseau d’établissements refuges, formés à la mise en sécurité des personnes victimes de harcèlement de rue. Nous prenons en charge des cours de self-défense pour les jeunes femmes pour qu’elles prennent confiance en elles. Nous avons des lieux d’accompagnement pour les femmes victimes de violences. Nous menons des campagnes d’éducation auprès des jeunes pour rappeler que le racisme, l’homophobie (article L225 du Code pénal) ne relève pas d’une opinion, mais d’un délit passible d’une peine de prison. 

Cet arsenal ne règle pas tous les problèmes. Mais la loi est là et on ne lâche rien. On garantit le vivre ensemble. La peur elle doit être du côté de ceux qui transgressent la règle.

– Ce vivre ensemble a été longtemps un slogan de la gauche. Comment expliquer sa disparition ? Est-on entré dans un véritable processus de désagrégation du lien social ?  

– Il y a un mot utilisé de manière très forte depuis quatre à cinq ans : séparatisme. Gérard Collomb, qui a été un grand maire de Lyon, avait averti en son temps qu’on risquait de ne plus vivre côte à côte, mais les uns face aux autres. C’est pourquoi il faut tenir l’idéal républicain, l’idéal français. Dans le contexte des haines exacerbées par les réseaux sociaux, par l’abaissement du langage dans le débat public (décrit par Jürgen Habermas que je prendrais comme référence), par la perte d’exigence sur les savoir-être. Les querelles identitaires occupent beaucoup le débat démocratique.

La gauche s’est parfois égarée parce qu’elle a dit les questions de sécurité « ce n’est pas nous c’est la droite ». Elle avait peur de ne pas être crédible sur ce sujet. Elle l’est, pourtant. Il suffit de voir comment Bernard Cazeneuve a su protéger les Français, et le président Hollande, dans un contexte d’épreuve. Un certain nombre de maires socialistes prennent la mesure du problème comme mon ami Mathieu Hanothin, remarquable, à Saint-Denis. On doit tenir un discours républicain, universaliste et ne pas sombrer dans le communautarisme.

Je crois qu’il y a toujours un discours à tenir autour de l’autorité. L’autorité du fonctionnaire, de l’État, du médecin. Ce qui fragmente notre société ce sont tous les discours qui tendent à affaiblir l’autorité du savoir, de la démocratie.

On le voit bien aujourd’hui nos démocraties sont travaillées par ce venin du populisme. Donc la gauche doit reprendre sa grande tradition républicaine autour des valeurs émancipatrices. Elle doit toujours faire dialoguer Jaurès et Clémenceau, elle doit toujours porter le discours de Lamartine « je suis de la couleur de celui qu’on persécute ». C’est l’universalisme républicain. Elle doit continuer à porter un imaginaire de la fraternité. Et non pas faire l’autruche sur les problèmes du quotidien.

– Emmanuel Macron, à Marseille, a dit qu’il y avait des conflits de compétence au niveau local entre les différentes collectivités territoriales Région, Département, Métropoles, Villes, Intercommunalités, conflits qui nuiraient à l’efficience. Il faut clarifier les compétences ?

– Il a raison. Oui, il faut clarifier les compétences et plus encore redéfinir les objectifs. Je ne comprends pas que dans le pays de Victor Hugo et de Jules Ferry où l’école est obligatoire jusqu’à 16 ans, il y a des jeunes de 13 ou 14 ans qui soient « chouf » (guetteur)ou mules. Il faut se dire « est-ce qu’on s’en satisfait ? ». Il ne faut pas se renvoyer la balle entre le Département, l’Éducation nationale, le maire… La France des procédures n’est plus la France des projets. Il y a des sujets pour lesquels ont doit aller beaucoup plus vite. Il faut clarifier les compétences, c’est sûr. Mais il faut aussi assumer. Par exemple, comment accepter que des mineurs non accompagnés soient dans les rues de nos villes ? Il faut convoquer les ambassadeurs des pays concernés.

– Le président a, semble-t-il, évoqué ces derniers jours la possibilité de faire participer les collectivités locales à la réduction de la dette du pays.

– Ce serait la pire des erreurs. Il casserait la dynamique économique puisque les collectivités investissent. Ce serait la pire erreur parce que les collectivités contribuent à ce que la France tienne l’accord de Paris de 2015 sur le climat. Et puis, est-ce qu’on veut que la cohésion sociale de nos villes, qui est portée par les maires, soit fragilisée ? Je crois qu’il faut des taxes sur les super profits, en particulier sur la spéculation de l’énergie. La lutte contre la dette est un impératif, mais il ne faut pas se tromper. Ne fragilisons pas les collectivités locales. C’est par elles que tient l’attachement des Français à la démocratie.

Propos recueillis par Hervé Marchal

Hervé Marchal

Correspondant à Montpellier