Michel Barnier, le style mou
En téléphonant à Marine Le Pen – une première – et en laissant la vedette à Bruno Retailleau, le Premier ministre a perdu en quelques jours le bénéfice de son style posé pour encourir le reproche d’inconsistance.
Il a plié au premier couac. Il aurait pu se contenter de réprimander son ministre de l’Économie et l’obliger à rectifier le tir. À 33 ans et sans aucune expérience politique, Antoine Armand, à ses yeux en tout cas, avait commis une bourde en déclarant candidement que le RN ne faisait pas partie de l’arc républicain. Non, Barnier s’est abaissé à téléphoner en personne à Marine Le Pen pour s’excuser, une première sous la Vème République, où jamais un Premier ministre n’avait décroché son téléphone pour appeler un leader de l’extrême-droite. S’est-il cru en danger, la patronne du RN l’ayant menacé de censurer le budget, de quoi faire tomber le gouvernement ? Qu’importe, la question est désormais posée : Michel Barnier va-t-il se déballonner à chaque fois que Marine Le Pen lèvera un sourcil ?
Il aurait dû savoir qu’elle n’avait aucun intérêt à le faire sauter, seulement à le faire plier. Car à quelques jours de l’ouverture, le 30 septembre, du procès des emplois fictifs du Rassemblement national où elle et 27 de ses collègues sont menacés d’inéligibilité, Marine Le Pen est en réalité dans ses petits souliers, contrainte de se concentrer sur ses ennuis judiciaires. Michel Barnier n’a pas su jauger le rapport de forces. Il a dû laisser le madré président du Sénat Gérard Larcher venir à sa rescousse pour l’assurer à la radio de son soutien et ainsi sauver son autorité.
On savait Michel Barnier sinueux, le voici malléable. Comme lorsqu’il n’a pas voulu faire savoir qu’il avait, selon nos informations, déjeuné en tête à tête avec Thierry Breton le samedi 14 septembre, à l’avant-veille de la démission du Commissaire européen, laissant croire ainsi qu’il n’était pas au courant de son départ, ce qui le dispensait d’intervenir. Pour préserver sa marge de négociation avec Ursula Von der Leyen dont il a besoin pour obtenir un délai dans le rétablissement des finances de la France ? Ou peut-être parce qu’il a simplement manqué de courage ?
Lundi, lors du petit déjeuner avec ses ministres tout juste nommés, et avant son premier conseil des ministres expédié en trente minutes, Michel Barnier leur a demandé de faire preuve de modestie, d’humilité et de … ne pas trop communiquer. Agir plutôt que parler : c’est son mantra. Il laisse pourtant Bruno Retailleau occuper les plateaux de télévision et dérouler ses propositions sur l’immigration, la sécurité et même la justice avant que lui-même n’ait eu le temps de délivrer son discours de politique générale mardi 1er octobre. À se demander qui est le Premier ministre : Michel Barnier ou Bruno Retailleau ? Le Savoyard réputé négociateur et modéré ? Ou bien le sénateur de Vendée dont les positions extrêmes menacent déjà de faire éclater le bloc central moins d’une semaine après la constitution du gouvernement ?
Les Français apprécient Michel Barnier pour son expérience et son style posé, plus rassurant que celui des éruptifs de la macronie. Mais avec son côté « ancien monde », effacé et un tantinet désuet, parviendra-t-il à s’imposer et à embarquer derrière lui les 38 membres de son gouvernement ? « Nous sommes des opposants politiques, condamnés à travailler ensemble », a confessé la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher, qui se situe à gauche de la macronie.
Il y a de la guimauve dans cet homme-là. Écartelé entre son aile droite et son aile gauche par les soubresauts d’une équipe de cohabitation désaccordée, on voit mal comment Michel Barnier va tenir le cap. En quelques jours, malaxé par les oppositions qui traversent sa fragile coalition, il s’est soudain ramolli.