Michel Sapin : notation « la France est déjà dégradée »

par Valérie Lecasble |  publié le 27/04/2024

L’ex-ministre de l’Économie et des Finances dénonce une gestion financière à court terme et une politique qui vise à faire payer… les pauvres.

L'ex-ministre français du Travail Michel Sapin en congrès à La Rochelle, ville de la côte atlantique -Photo Xavier LEOTY / AFP

LeJournal.info : Les agences de notation n’ont pas dégradé la note de la France. Est-ce en raison des économies sur les dépenses publiques annoncées par le gouvernement ?

Michel Sapin : Dégradation ou pas, la France est déjà dégradée. Le reste n’est que de la communication politique. Les marchés ont déjà leur opinion et se moquent des agences de notation. Ils connaissent depuis plusieurs semaines les mesures annoncées par le gouvernement. Mais ils ne peuvent pas se passer de la deuxième économie d’Europe pour faire des placements.

Quand il s’agit de la Grèce, du Portugal ou de l’Espagne, les marchés tiennent compte des notations, mais pas quand il s’agit des États-Unis, de la Grande-Bretagne ou de la France.

Le seul effet est que ça coûte plus cher. Quand la situation budgétaire française est plus mauvaise que celle de l’Allemagne, l’écart entre les taux d’intérêt français et allemand s’accroît. (NDLR : le « spread » est passé de 20 à 50 centimes en deux ans). Les taux d’intérêt vont continuer d’augmenter, tous les ans le budget de la France paye plus d’intérêts que prévu et la dépense, liée à la dette, ne cesse de s’accroître.

Pendant le Covid, tout le monde a dépensé à juste titre, y compris les Allemands. Mais eux sont revenus à la situation précédente alors que nous avons continué à dépenser. Ce qui n’empêche que les marchés vont nous prêter de l’argent… on n’est pas le Ghana ou la Tanzanie !

Il va falloir économiser 45 milliards en deux ans. Comment va-t-on y parvenir ?

Les marchés prennent les promesses comme des engagements. Moins de dépenses publiques veut dire moins de dette mais il faudra plusieurs années avant que la réduction de l’assurance chômage ait un effet. Pour la réforme des retraites, ce sera dans 4 ou 5 ans. C’est une perspective de crédibilité qui rassure les marchés, mais cela ne crée pas d’économies immédiates.

Le gouvernement ne réussira pas à faire les économies annoncées. Les dépenses sociales représentent 50 % des dépenses publiques donc il va falloir toucher à l’assurance chômage, l’assurance maladie, l’assurance vieillesse. Ce sont des décisions extrêmement lourdes.

Le gouvernement dit qu’il ne veut pas augmenter l’impôt des riches mais il diminue les recettes des pauvres ! Il va falloir demander un effort énorme aux Français. Il faudrait le demander à tout le monde et pas seulement à ceux qui n’ont pas grand-chose. Il faut aussi demander à ceux qui ont quelque chose en plus, les 10 % les plus aisés. On n’augmente pas les impôts, mais on diminue toutes les allocations sociales, celles du chômage, de la sécurité sociale et les autres remboursements. Il faudrait faire payer tout le monde, y compris les plus riches.

Le marqueur du macronisme est de ne prendre en compte dans l’Impôt sur la fortune (ISF) que les biens immobiliers et d’en exclure les produits financiers. Avec la flat tax, les revenus du capital sont moins imposés que ceux du travail. Les financiers sont satisfaits. Mais pour la cohésion sociale, c’est criminel.

Oui, mais la hausse des impôts est impopulaire, elle vous a coûté cher.

Oui cela nous a coûté politiquement, mais c’était notre responsabilité de contenir les déficits de la France et nous y sommes parvenus. Nous avons redressé les finances de la France.

Quant à l’argument du plein emploi utilisé pour restreindre les droits au chômage, c’est celui de la droite, c’était celui de Nicolas Sarkozy. Or, le chômage repart à la hausse depuis un an. On nous a dit qu’il faudrait diminuer les avantages pendant la période d’amélioration de l’emploi et les augmenter quand la situation se dégrade, ce n’est pas ce que l’on fait alors même que l’on n’est plus dans la tendance du plein emploi.

Gabriel Attal en particulier s’exprime avec une violence sociale scandaleuse.

Concernant notre déficit, nous faisons à peine mieux que l’Italie et la Grèce dont le budget est excédentaire. Les Français ont compris que les finances publiques françaises ne vont pas bien, ils croyaient avoir affaire à des gens sérieux, mais ils s’aperçoivent que derrière un discours social extrêmement dur, il y a aussi du laxisme. Emmanuel Macron continue à distribuer les milliards.

Celui qui a conceptualisé le « quoi qu’il en coûte », c’est Emmanuel Macron. C’était alors une bonne décision. Mais les Allemands eux ont dit « ça va coûter très cher », ce qui est complètement différent. Emmanuel Macron a banalisé la dépense publique, il a fait croire que l’argent est magique. Quand les autres pays ont restreint leurs dépenses après le Covid, nous on a continué à dépenser autant voire plus. Bruno Le Maire n’a changé de langage qu’en 2023 quand il a constaté un ralentissement de l’économie et donc des rentrées fiscales, et une augmentation continue des dépenses. Il a alors tiré la sonnette d’alarme. Le vrai responsable est le président de la République qui n’est même pas capable de faire passer ses décisions budgétaires à l’Assemblée nationale, ce qui pour les marchés, est étrange. Il était Jupitérien au début, il sera Jupitérien jusqu’à la fin, mais avec de la foudre en plastique.

Aujourd’hui, il n’y a plus de capacité d’action, on n’est plus que dans la parole.

Valérie Lecasble

Editorialiste politique